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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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propager ses objectifs et à recruter des membres. Un journal, Le Semeur, servait les mêmes fins.
    —    Nous avons un menu plutôt copieux aujourd'hui, continua le président d'assemblée. Toutefois, vous me permettrez de souhaiter d'abord la bienvenue à tous les délégués. Je reconnais quelques visages. Pour les autres, nous aurons le temps de faire plus ample connaissance au cours de la prochaine année académique.
    La voix de Perreault portait loin. Il jouait négligemment avec son petit maillet, comme un juge un peu fébrile : jeune avocat, sans doute aspirait-il déjà à une nomination «sur le banc». Dans les minutes suivantes, il s'assura de l'adoption de l'ordre du jour, du procès-verbal de la dernière réunion, donna des informations sur la vie de l'organisation, puis en arriva aux questions sérieuses :
    —    Nous en sommes au choix du drapeau national. Nous croyons important que notre Association se prononce sur la question.
    —    Nous avons déjà un drapeau, cria quelqu'un à l'arrière. Le tricolore.
    —    C'est le drapeau de la France, opposa le président.
    Depuis cinq ans, tous les milieux nationalistes s'agitaient sur
    cette question. Pendant les dernières décennies, le bleu-blanc-rouge avait suffi aux besoins identitaires des Canadiens français, au point qu'ils le hissaient sur les édifices publics ou l'exhibaient lors des parades de la Saint-Jean-Baptiste.
    —    On n'a qu'à le «canadianiser» en plaçant un gros castor au milieu, insista la même voix.
    —    Cela reste le drapeau français...
    —    Alors on ajoute une devise, sous le castor, intervint Edouard. Je propose «Les fourrures Picard». Rien de plus canadien.
    L'éclat de rire qui suivit fit monter le rouge aux joues du président, qui frappa frénétiquement de son maillet sur la table.
    —    Monsieur Picard, gardez vos blagues de collégien pour la salle d'étude, où vous côtoyez des camarades de votre âge. Les Anglais utilisent le castor comme symbole, il ne nous est plus exclusif. Puis vous savez tous pourquoi il serait bien imprudent de garder le tricolore comme emblème national. Aujourd'hui, grâce à l'Entente cordiale, le Royaume-Uni et la France sont des alliés. Cela peut changer demain, au gré de la politique internationale. Au moindre refroidissement dans les relations de ces pays, nos compatriotes de langue anglaise détruiront les drapeaux. Les étudiants de McGill sont déjà venus arracher un tricolore à l'Université Laval à Montréal, il n'y a pas très longtemps.
    —    Puis il y a l'enfer du combisme... intervint quelqu'un.
    Au fond, là se trouvait la véritable raison de cet empressement à rejeter le tricolore. La République française, sous l'influence du président du conseil Emile Combes, menait à son terme le combat pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat En plus de rompre les relations diplomatiques entre la France et le Vatican, une loi de 1904 interdisait aux membres des congrégations religieuses d'enseigner, à quelque niveau que ce soit.
    —    Ils ont chassé la religion des écoles, ajouta un autre.
    —    En même temps que toutes les religieuses, tous les religieux et tous les prêtres, renchérit un troisième.
    Avec pour résultat que des centaines, sinon des milliers de ces personnes originaires de France se répandaient dans le réseau scolaire de la province, pour y vomir leur haine pour les valeurs républicaines, et diffuser chez les élèves leurs idées rétrogrades.
    —    Dans ces circonstances, mieux vaut nous donner un drapeau bien à nous, reprit le président d'assemblée. Le comité formé à Québec pour étudier la question a arrêté son choix sur le drapeau de Carillon. Les sociétés Saint-Jean-Baptiste, un peu partout dans la province, ont entériné ce choix. Je propose que nous adoptions aussi une résolution en ce sens.
    Comme dans tous les corps démocratiques, cette réunion avait fait l'objet d'une planification attentive, afin de ne rien laisser au hasard des discussions. Antonio Perreault se leva pour prendre derrière lui un grand panneau cartonné appuyé face au mur, le retourna et le plaça devant la table, afin que tous le voient.
    Un tonnerre d'applaudissements accueillit la présentation du drapeau. Une croix blanche sur un fond bleu pâle divisait le rectangle en quatre grands quartiers. Dans chacun, une fleur de lys pointait vers le centre.
    —    Le truc orangé, au milieu,

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