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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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soupira. La petite fête municipale dont avait rêvé Wilfrid Laurier était ruinée. La présence royale lui conférerait une ampleur considérable. Les impérialistes se rallieraient autour d'elle, ils relanceraient tous les projets d'une participation aux innombrables aventures militaires de la métropole. Pour les nationalistes, cela prendrait la forme d'une déclaration de guerre.
    De retour à la Citadelle de Québec, les passagers descendirent de voiture, serrèrent la main du comte Grey en s'inclinant bien bas. Il se dirigea vers le grand édifice. Alors que les hommes remontaient dans la calèche, il s'arrêta et revint vers eux.
    —    Monsieur Picard, je me souviens tout d'un coup de votre rôle d'organisateur politique. Connaissez-vous bien les sentiments des habitants de Québec ?
    —A tout le moins, je m'y efforce.
    —Je songe à ranimer une vieille tradition: le bal du gouverneur.
    A l'époque où Québec offrait bien peu de loisirs, le gouverneur de la colonie tenait un grand bal à l'automne, afin que les jeunes filles en mal de se trouver un mari se montrent un peu. Aux quelques invitations à danser pouvaient
    succéder la visite de jeunes gens convenables à leur domicile.
    —    Excellence, vous me trouvez en position de faiblesse à ce sujet. J'ai une fille qui aura bientôt vingt ans. Je ne peux me prononcer au nom de tous mes concitoyens, mais si l'initiative avait d'heureux résultats pour elle, je serais votre débiteur.
    —    Je ne peux donc plus hésiter. Je compte sur vous pour me fournir une liste des familles susceptibles de recevoir une invitation.
    De nouveau, il fit mine de partir puis s'arrêta pour préciser :
    —    Naturellement, vous n'y mettrez pas uniquement les noms des familles libérales.
    —    Evidemment, Excellence. Au risque de reproduire dans notre ville très sage le drame de Roméo et Juliette, vous aurez des Capulet conservateurs et des Montaigu libéraux.
    Le comte inclina la tête dans un dernier salut, puis rentra chez lui.
    Chapitre 7
    Comme tous les matins depuis un peu plus de cinq ans, Mathieu Picard marcha les quelques centaines de pieds qui séparaient son domicile de l'Académie commerciale de Québec, dans la rue Saint-André. Si la fréquentation de cet établissement ne lui avait procuré aucun plaisir tout au long du cours élémentaire et pendant la première année du cours modèle, le mois de septembre dernier et la première semaine d'octobre avaient confiné à l'horreur.
    Ce matin, le 8 octobre, la situation ne différait pas des jours précédents. A peine arriva-t-il près de l'entrée de l'école qu'une voix narquoise lança dans son dos :
    —    Ton père a-t-il tenté de te la mettre dans le cul, hier soir ?
    Mathieu se retourna pour apercevoir Pierre Grondin sur le trottoir, accompagné de ses deux éternels compères. Le trio fréquentait le cours académique : ces adolescents comptaient parmi les «grands», ceux qui se préparaient à assumer bientôt des tâches de commis ou de secrétaire. À quatorze ou quinze ans, ils dépassaient leur victime d'une bonne tête.
    —    Laissez-moi tranquille, répondit le garçon au bord des larmes.
    —    Ne fais pas ta mauvaise fille, cria l'un d'eux. Viens plutôt me faire une caresse.
    Il accéléra le pas, commença à courir quand ses tortionnaires s'approchèrent un peu trop. La porte d'entrée se trouvait toute proche, le gamin arriva à s'y engouffrer avant d'être rattrapé. Dans sa précipitation, il évita de justesse de heurter le frère des Écoles chrétiennes chargé d'agiter la cloche pour signifier aux retardataires de se presser.
    —    Picard, s'exclama l'homme vêtu d'une robe noire, un rabat blanc sur la poitrine, vous savez qu'il est interdit de courir dans nos locaux.
    —    ... Je vous demande pardon, frère Dosité.
    —    Votre bulletin portera la trace de ce comportement.
    Les congrégations religieuses ne se contentaient pas d'instruire les enfants qu'on leur confiait, elles les éduquaient aussi. En conséquence, le carnet de notes ne se limitait pas à communiquer aux parents les progrès réalisés dans l'apprentissage du français et des mathématiques, mais il les informait
    aussi d'attitudes morales comme la piété, la soumission, le respect. Courir, crier, s'agiter constituaient des fautes graves à leurs yeux.
    —    Ce sont eux...
    —Je pourrais ajouter que vous dénoncez les autres.
    Alors que le trio dirigé

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