La belle époque
entre l'iris et la pupille. Thalie, près d'elle, présentait la même mine sceptique et le même regard sombre. A la fin, le garçon confessa :
—Je me suis battu.
C'était une façon un peu présomptueuse de présenter les choses : les rares témoins décriraient plutôt la rixe comme un massacre. Marie trempa une pièce de tissu dans le plat rempli d'eau par la domestique, commença par essuyer le sang sur la bouche et le menton. Une plainte étouffée accueillit cette attention.
— Tu as des dents brisées ?
—Je ne pense pas. Certaines bougent un peu...
— Madame, intervint Gertrude, il a été frappé là.
Du doigt, la femme montrait le côté gauche de la poitrine du garçon. Marie, toute son attention portée au sang sur le visage, n'avait pas remarqué que Mathieu se tenait un peu penché vers l'avant, la main droite sous sa veste afin de tenir ses côtes endolories.
— Comment as-tu pu être atteint à cet endroit ? questionna-t-elle doucement.
— Un coup de pied. J'étais par terre.
— Thalie, va dire à ton père d'appeler le médecin.
Elle acquiesça d'un hochement de la tête, se précipita vers l'escalier. Le claquement sec de ses talons sur les marches s'estompa bientôt. Le commerce possédait le téléphone, toutefois l'appartement privé ne profitait pas encore de ce luxe. Alfred devrait monter à l'étage pour utiliser l'appareil de son bureau.
— Qu'est-ce qui se passe dans cette école ? Depuis septembre, tu parais malheureux, et maintenant cette bagarre.
—Juste une querelle, des sottises.
La joue gauche du garçon présentait déjà une vilaine teinte rouge et une belle enflure. Le rose monta sur la droite. Comment expliquer à sa mère les horreurs que ces garçons plus âgés lui jetaient au visage? La honte et un véritable dégoût de lui-même, l'envahissaient.
— Tu me racontes des sornettes. Frapper un garçon dans les côtes à coups de pied, ce n'est pas juste une querelle. Quel âge avait celui qui t'a fait cela?
— ... Je ne sais pas trop. Quatorze ans je crois.
Trois ans de plus que la victime. Cela lui conférait une taille et sans doute une force bien supérieures aux siennes. Cependant, Marie savait que son enfant pouvait courir très vite. La réalité devait être pire encore.
— Il était seul ? insista-t-elle après avoir nettoyé son visage. .
— Ils... ils étaient trois, reconnut finalement Mathieu.
— Les sales merdeux, souffla Gertrude.
La domestique, un peu à l'écart, prête à se rendre utile, retint le chapelet d'épithètes encore plus malsonnantes qui lui venaient à l'esprit. Un pas lourd se fit entendre dans l'escalier. Alfred apparut dans l'embrasure de la porte, le visage inquiet, Thalie sur ses talons.
—Je viens d'appeler le docteur Caron. Que s'est-il passé?
— Mathieu s'est fait battre à l'école.
L'homme s'approcha, posa un genou sur le sol pour avoir les yeux à la hauteur de ceux de son fils, lui prit la main en lui demandant :
— Ça va ?
— ... Oui, je pense.
— Thalie m'a dit à propos du coup de pied, continua-t-il en se tournant vers Marie. Quelle bande de sauvages ! Pourquoi diable ont-ils fait cela ? demanda-t-il encore à l'adresse du garçon.
La joue droite de Mathieu devint aussi rouge que la gauche. Il balbutia d'un ton mal assuré :
— Juste une querelle. Une bousculade à la sortie de l'école.
— Voyons, un coup de pied dans la poitrine, ce n'est plus une bousculade... Comment s'appelle le type qui a fait cela?
— ... Je ne vais pas le rapporter.
— Ne dis pas de sottises. Ce genre de coup aurait pu t'estropier. Je le sais, j'en ai déjà reçu un. Qui a fait cela?
En évoquant la raclée essuyée des années plus tôt, l'homme échangea un regard avec sa femme. Le silence embarrassé se prolongea au point qu'il insista encore:
— Ce garçon a commis un geste dangereux. Me dire son nom, ce n'est pas trahir un secret. Quand le médecin t'aura examiné, peut-être conviendra-t-il de parler à la police.
— Non, ne fais pas cela, supplia l'enfant, une pointe de désespoir dans son expression. Ce sera encore pire, après.
Le désarroi dans la voix de son fils poussa Marie à s'approcher pour lui caresser les cheveux. Elle le regarda dans les yeux et déclara :
— Au lieu de multiplier les questions, le mieux est de placer une compresse sur la joue et
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