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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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? Ce garçon torture Mathieu depuis des semaines.
    —    C'est un adolescent? Aucune chance que je sois entré en contact avec lui.
    —    Lui se montre au courant de tes... préférences.
    —    Ecoute, tu vis avec moi depuis des années. Tu sais bien que je ne... cours pas après les enfants.
    De cela, elle était certaine. Dans le cas contraire, leur cohabitation se serait terminée très vite.
    —    Alors quelqu'un de la famille de cet adolescent, ou même un voisin, une simple relation, est au courant. Il n'y a pas de véritable secret dans notre petite ville.
    —    Et s'il avait lancé cette accusation au hasard ? Ce ne serait certainement pas la première fois que la virilité de quelqu'un se trouverait mise en doute seulement par méchanceté. Je me demande même si un seul garçon de Québec a échappé à une raillerie de ce genre, au cours de son existence.
    —    ... Bien sûr, c'est possible. Tu as peut-être raison. Toutefois, ce qui importe maintenant, c'est de sortir Mathieu de cet enfer.
    Alfred songeait à cela depuis un instant. La solution qui lui venait à l'esprit semblait impraticable :
    —    Si je m'adresse à la police, cela ne fera que compliquer les choses. L'attention sera portée sur moi...
    Les contacts intimes entre deux hommes étaient sévèrement punis par le Code criminel. Ce Pierre Grondin répéterait ses accusations au premier constable qui lui adresserait la parole. Bien sûr, elles ne constitueraient pas une preuve, mais alors on s'interrogerait sur son compte. Au pire, les enquêteurs chercheraient à en savoir plus et découvriraient ses turpitudes. Au mieux, toute cette agitation aurait pour effet de donner aux rumeurs une ampleur nouvelle, une conséquence dont le marchand souhaitait se passer.
    —    Il faudrait que je sache qui est ce Grondin, comment il a pu s'intéresser à moi de cette façon, insista Alfred. Selon toute probabilité, ce sont des paroles lancées au hasard, seulement pour blesser. Mais je dois tirer cela au clair.
    —    Lundi prochain, notre fils devra retourner à l'école. Son calvaire recommencera.
    —    Je pourrais le conduire le matin, aller le chercher à midi et le soir. C'est à deux pas.
    Marie lui adressa son meilleur sourire de la soirée, puis commenta :
    —    Dans les circonstances, tu ne crois pas que ce serait la plus mauvaise solution ?
    —    ... Tu as sans doute raison. Et si tu y allais à ma place, cela reviendrait au même : on parlerait du garçon à sa maman ! Nous serons alors à la mi-octobre ou presque, je ne vois pas trop comment nous pourrions l'inscrire dans un autre établissement. Je peux toujours aller voir le directeur de l'école des frères dans le quartier Saint-Roch, mais la formation y est certainement moins bonne qu'à l'Académie. Je le sais, je l'ai fréquentée il y a plus de trente ans.
    Surtout, si les motivations de ces adolescents se révélaient sérieuses, ils pourraient continuer leur harcèlement. La distance jusqu'à la Basse-Ville leur procurerait de nombreuses occasions d'embuscade.
    —    Il y a une classe préparatoire au Petit Séminaire tout à côté, rappela Marie. C'est plus cher...
    D'un geste de la main, l'homme exprima son désintérêt pour cet aspect de la question.
    —J'irai voir dès demain matin. J'irai aussi rencontrer le directeur de l'Académie. Ce gars devrait être en mesure d'assurer la sécurité de ses élèves.
    —    Ce qui te forcera aussi à évoquer les allusions à ta vie privée formulées par ce Grondin...
    Comme dans le cas d'une dénonciation au service de police, cela représentait un obstacle. Mettre sous le nez d'un enfant les turpitudes de son père, même souligné de coups cruels, paraîtrait toujours un péché bien véniel, en comparaison de la bougrerie de ce dernier.
    —    Alors je lui ferai remettre une lettre. Les écrits restent.
    Marie lui adressa un sourire sceptique, puis déclara :
    —Je ferais mieux d'aller voir si notre petite infirmière avale quelque chose avant d'aller au lit... et si elle s'occupe aussi de ses devoirs.
    Pour sortir de la salle à manger, Marie passa à proximité de son époux. Il lui prit la main et lui confia à voix basse :
    —    Je me sens souvent coupable d'être ce que je suis. Je serais tellement heureux de devenir comme tous les autres.
    Elle se pencha sur lui pour poser ses lèvres sur son front, remarqua les cheveux gris qui marquaient de plus en

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