la Bible au Féminin 03 Lilah
depuis des générations. Aujourd’hui, le rouleau de la Loi revient à Ezra. Il veut en faire l’étude. Pas uniquement l’étude : il veut en respecter l’enseignement. N’est-ce pas son droit ? Peut-être même son devoir ? Ne doit-on pas l’admirer pour cela comme on nous apprend à admirer les Anciens, les Patriarches, les Prophètes ?
— Quelle modestie ! Ezra l’égal des Anciens, des Patriarches et des Prophètes. Rien que cela !
Un instant, elles s’affrontèrent du regard. Finalement Sarah haussa les épaules et remarqua, désabusée :
— Tu parles de plus en plus souvent comme lui.
— Je ne parle pas comme lui. Mais je comprends ses raisons.
— Tu as bien de la chance.
Sarah passa ses doigts sur son front et ses yeux comme si elle voulait en faire surgir une image.
— Vous étiez là, dans la maison, dans le jardin, à vous chamailler et à vous adorer, soupira-t-elle. Mon frère Ezra par-ci, mon frère Antinoès par-là ! Je vous entends encore.
— Ezra n’est plus cet Ezra-là, tante Sarah, répliqua durement Lilah.
— Oh ! je m’en suis aperçue ! Et toi non plus, tu n’es plus pareille.
La voix de Sarah se brisa. Son cou et son menton se remirent à trembler. Dans un sanglot, elle ajouta :
— Antinoès est un capitaine de char ! Il combat près du grand Tribaze. Il peut entrer dans l’Apadana quand il le désire, être invité au repas du Roi des rois…
Lilah devinait parfaitement ce que ressentait sa tante. Depuis toujours Sarah avait aimé Antinoès comme un fils. Mais elle aimait aussi la noblesse de sa famille, le brillant de son nom et de son origine. Elle aimait l’orgueil de pouvoir dire à ses clientes qu’Antinoès, fils d’Artobasanez, défunt satrape de Margiane, serait désormais l’époux de sa nièce et l’héritier de Mardochée.
Lilah s’écarta de la table et des coussins. Aussitôt sa tante fut debout, se précipitant vers elle.
— Lilah ! Pardonne-moi, ma chérie. Je sais que tout cela est difficile pour toi. Tu aimes Ezra et… nous l’aimons tous.
Lilah se laissa prendre les mains. Sa tante soupira, trouva la force d’un petit sourire.
— Peut-être as-tu raison, après tout ? Tu as toujours su te débrouiller avec lui. Peut-être vaut-il mieux ne pas lui parler d’Antinoès en ce moment ? Son humeur peut être si changeante. Dans quelques jours…
L’espoir sonnait faux. Lilah se détourna avec gêne. Mais sa tante la retint, le visage à nouveau sérieux, la voix basse et ferme :
— Mieux vaut également ne rien dire à ton oncle, ma chérie. Tant qu’Ezra ne s’est pas décidé. Mardochée tient tellement à ton bonheur. Cela fait si longtemps qu’il attend ce moment. Ce mariage est si important pour lui ! Pour nous tous. Pour les ateliers. Tu comprends ?
Les amis de la reine
Comment dormir ?
La voix d’Antinoès disait : « Nous sommes ensemble pour toujours. Sans ton amour, je serais si faible qu’un enfant grec pourrait me vaincre. »
La voix d’Ezra disait : « Ne souille pas les murs de cette pièce avec son nom. »
La voix de tante Sarah disait : « Ce mariage est si important pour nous tous ! »
D’un geste rageur, Lilah rejeta la couverture entortillée entre ses jambes. Un mauvais rêve l’avait réveillée. Depuis, elle cherchait en vain à retrouver le sommeil. L’obscurité de sa chambre, l’air aussi suffocant que si l’on y avait brûlé des bâtons de cèdre semblaient peser sur elle.
À tâtons, elle trouva son châle et le passa par-dessus sa tunique de nuit. Les pieds nus, repoussant sans bruit le volet, elle sortit sur l’étroite terrasse bordée d’un mur crénelé en surplomb de la cour intérieure et qui longeait les salles des femmes.
Elle respira profondément, sentant enfin sa gorge se dénouer.
Voilé par les nuages, le ciel était d’une opacité lourde, sans étoile ni lune. Le vent de l’ouest, venu du désert, soufflait par rafales. Bientôt, il faiblirait. Le zarhmat, charriant du nord les pluies d’automne et le gel de l’hiver, le chasserait.
Comme chaque nuit, le diadème de l’Apadana brillait au-dessus de la ville endormie. Lilah ne put s’empêcher de songer à nouveau à Antinoès.
Ses yeux cherchèrent la tour qui avait accueilli leurs amours. Elle demeurait invisible, mais Lilah la voyait quand même, comme elle percevait encore sur sa peau le souffle d’Antinoès, le frisson de ses caresses.
Elle posa les mains sur
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