la Bible au Féminin 03 Lilah

vêtements les plus étranges. On y entendait les plus déconcertants langages. Cependant, bien peu nombreux, parmi ceux-là, étaient autorisés à passer entre les regards stupéfiants des immenses statues de Darius.
    Pour franchir la porte et pénétrer dans l’ombre glacée des tours, ces étrangers devaient présenter la tablette de cire rédigée par les scribes de l’Apadana et qui leur ordonnait de s’y présenter.
    Lorsque Ezra montra la sienne, un garde l’examina avec soin avant de la remettre à des scribes qui, à leur tour, l’étudièrent attentivement. On approuva son passage, mais, malgré ses protestations, Zacharie et ses compagnons furent repoussés sans ménagement. À peine eurent-ils le temps de lancer des encouragements avant de disparaître dans la foule que les gardes contenaient de leurs lances.
    Ezra fut dirigé vers une étroite galerie, où on le fouilla. Avec un soin mortifiant, des gardes s’assurèrent qu’il ne dissimulait aucune arme, aucune fiole, aucune pommade. À sa grande terreur, et malgré sa violente opposition, ils tirèrent le rouleau de Moïse de son étui de cuir. Le papyrus fut déroulé sur toute sa longueur.
    Sous le regard furieux d’Ezra, deux jeunes eunuques glissèrent la pointe de leur index le long de la bande calligraphiée. Après quoi, ils offrirent leurs doigts à la langue d’un chiot tenu en cage. Le temps de s’assurer que l’animal ne montrait aucun signe d’empoisonnement, Ezra put enfin quitter la porte de Darius. Ébloui par la lumière du jour, il pénétra dans un monde que bien peu d’hommes avaient pu contempler de leurs propres yeux.
    Là, tout était à ce point surdimensionné qu’Ezra eut brièvement l’impression d’avoir été réduit en un clin d’œil à la taille d’un enfant. Sur la gauche, au-delà des parapets, les méandres minuscules de la Chaour chatoyaient dans les champs enneigés tel un fil serpentant sur les motifs d’un tapis. À droite, les maisons de Suse-la-Ville n’étaient que cubes enfantins, les jardins des bandes sombres où le vert perçait çà et là sous la neige. Le ciel était si pur, si proche, qu’il semblait qu’en levant la main on pourrait en effleurer les nuages.
    Devant lui s’étendait la cour de l’Apadana. Le sol était de marbre, à perte de vue, jusqu’aux murs du palais lui-même, lisses, sans une seule ouverture, aussi parfaits qu’une falaise de brique. Chaque dalle était si bien jointée qu’une arête de poisson n’aurait pu s’y incruster.
    Partout se dressaient des statues. Celles d’Artaxerxès le Nouveau faisaient face aux effigies d’Ahura-Mazdâ, avec sa tête barbue et ses ailes d’aigle. Alentour s’alignaient des lions de granit, des serpents d’acier et d’argent. Le porphyre de la nudité sensuelle de la déesse Anâhita défiait les chevaux et les taureaux furieux du dieu Mithra, dont la pierre était recouverte de cuir et de fourrures dorées. Des offrandes brûlaient dans des coupes de bronze. Nombreux étaient ceux qui s’inclinaient devant elles, chantaient ou criaient des louanges. Certains étaient allongés sur les dalles glacées, d’autres dansaient en offrant leur poitrine au froid. D’autres encore se tenaient simplement immobiles, plies en deux comme si le gel les avait pétrifiés.
    Quantité de gardes déambulaient, vêtus de tuniques vert et jaune, aux manches et aux cols brodés de pierres et d’anneaux d’or. D’une taille supérieure à celle des hommes ordinaires, ils étaient encore grandis par le bonnet torsadé qui enserrait leurs chevelures bouclées et se nouait dans leurs barbes huilées. De leurs baudriers de cuir et d’argent sortait la poignée d’ivoire d’une dague courbe. Ils portaient des javelots où pendaient des globes d’argent ou d’or, selon leur rang.
    Deux d’entre eux vinrent droit sur Ezra et lui réclamèrent sa tablette. Puis, sans commentaire, ils le conduisirent à l’autre bout de l’Apadana. Là, douze colonnes recouvertes d’épaisses feuilles d’or soutenaient un toit. Ces colonnes, que l’on voyait de partout, et même depuis la ville basse, étaient si imposantes qu’il avait fallu deux mille bras pour les transporter et les dresser.
    L’étui de cuir du rouleau de Moïse serré contre son ventre, Ezra pressa le pas derrière les gardes. Ils pénétrèrent dans l’espace couvert où régnait une grande activité. Parmi une foule de scribes et d’aides, allaient et venaient les