La bonne guerre
et
partaient. Puis ils revenaient aussitôt et recommençaient. Notre équipage est
resté là à peu près sept ou huit jours.
Après Francfort, nos officiers sont allés au stalag 3.
Il y avait quelques Anglais, et des Français. Il y avait beaucoup de réfugiés
politiques là-bas, si je me souviens bien. Ils étaient mis avec les Russes. Il
y avait énormément de Russes. On ne les fréquentait pas beaucoup. Notre
quartier était à une centaine de mètres du leur. Il y avait une rue ordinaire
qui traversait ce camp, une petite route sale. On allait au quartier des Gurkhas.
Ils recevaient des colis de la Croix-Rouge britannique. Ils ne mangeaient pas
de viande et ne fumaient pas. Alors on leur échangeait des biscuits ou autre
chose contre de la viande et des cigarettes. Vous voyez, on allait trouver les
Français, pour leur échanger notre Nescafé contre des biscuits, et après on
repassait les biscuits aux Indiens, qui d’ailleurs sont des gens tout à fait
charmants. On soudoyait les gardes allemands avec des cigarettes. Ils nous
apportaient du boudin, mais je n’ai jamais pu m’y faire.
De temps à autre, on recevait des colis de la Croix-Rouge. Alors,
on prenait le pain ou des gros morceaux de saucisse, ce qu’on avait quoi, et on
les jetait aux Russes. Les Russes sortaient de leurs baraquements et se
battaient pour un petit bout de pain. Ces pauvres gens ne recevaient rien de
chez eux.
Je crois qu’il y avait une haine ancestrale et naturelle
entre les Allemands et les Russes. Ils ne donnaient aux Russes que le strict
minimum pour les maintenir en vie. Vous savez, quand les Russes sortaient
travailler, on leur jetait des cigarettes ou d’autres trucs, alors ils
rompaient les rangs et se bagarraient comme des brutes pour essayer d’attraper
quelque chose. À ce moment-là, les Allemands attrapaient leurs vélos par la
roue arrière et tapaient sur les Russes avec la roue avant, et les faisaient
rouler à terre. Ils les frappaient avec leurs fusils, et ils avaient aussi des
chiens.
Le grand jeu des Allemands c’était de lâcher leurs chiens le
soir dans les baraquements. Évidemment tout le monde grimpait sur les
couchettes du dessus. Un soir ils ont fait ça dans les baraquements des Russes,
et ça a semé une sacrée panique. Quand finalement les Allemands sont allés voir
ce qui se passait, et qu’ils ont allumé, ils n’ont retrouvé que trois colliers.
En fait les Russes avaient tué les chiens et les avaient mangés. (Il rit.) C’est
drôle, mais pour eux c’était une question de survie. On les aimait bien ces
Russes, c’étaient vraiment des soldats remarquables. Il faut dire que ce sont eux
qui m’ont libéré.
On s’entendait bien avec les Anglais, sauf qu’ils ne
voulaient jamais jouer. (Il rit.) On jouait aux dés, au poker, au blackjack.
On pariait des morceaux de savon, ce qu’on avait, quoi. On a été faits prisonniers
en 43, et on y est restés deux ans jour pour jour.
Je suis allé dans sept camps différents. Je me suis évadé
sept fois. Ce qui n’est d’ailleurs pas une preuve d’intelligence, car j’ai été repris
à chaque fois. (Il rit.)
Au 7 A, avec deux autres types, nous avons franchi neuf
clôtures de barbelés, nous les avons coupées et nous nous sommes évadés. Avec
un autre gars, Steve, qui s’est d’ailleurs fait abattre par les Allemands une
autre fois où il essayait de s’évader, nous nous sommes promenés dans la ville
de Vienne jusqu’à la nuit. Nous nous mêlions aux civils. Tant que quelqu’un ne
commence pas à vous parler, ça va. On faisait du lèche-vitrines. (Il rit.) Avec
Steve, nous avions mis nos connaissances en commun. Lui venait de la ville, et
il avait l’expérience de la vie urbaine. Moi j’étais de la campagne, et je me
débrouillais bien avec les voies ferrées.
À Vienne nous avons commis une erreur presque fatale. La
nuit commençait à tomber et nous avons vu une fille. Personne alentour. J’ai
dit : « On va aller trouver cette fille, j’espère qu’elle ne nous
dénoncera pas. » Nous l’avons suivie et avons commis l’erreur de la
coincer contre un mur. On essayait de lui dire que nous étions Américains :
« A-mé-ri-cains. » Elle a paniqué, et on ne peut pas lui en
vouloir. Nous aussi d’ailleurs, et on s’est mis à hurler. Elle a crié, elle
beuglait littéralement. (Il rit.) On a fichu le camp, et elle est partie
dans la direction opposée.
Je portais un vieux pantalon marron et
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