La bonne guerre
s’est
passé. (Il rit.) Deux hommes sont arrivés, ils baragouinaient l’anglais
avec un accent français. Chouette ! On leur a dit qui on était. Ils
allaient nous prendre sous leur aile, et on serait sur un bateau, sûrement un
sous-marin, on quitterait Trieste, et en un rien de temps on serait chez nous. Parfait.
Et tout d’un coup, les voilà qui sortent leurs revolvers. C’était la Gestapo. Alors
ils nous ont emmenés en prison. (Il rit.)
Évidemment, après, les militaires allemands s’en sont mêlés.
Ils nous ont accusés de sabotage et d’espionnage. On s’est retrouvés devant le
tribunal, de retour à Vienne. Tribunal civil et tribunal militaire. Un officier
de la Luftwaffe est venu nous trouver pour nous annoncer qu’il était notre
avocat. Bon Dieu, vachement bien. On va avoir un avocat allemand pour nous
défendre ? C’est pas vrai ? (Il rit.) J’ai complètement oublié
où il avait fait ses études, quelque part aux États-Unis.
Avant de nous livrer aux militaires, la Gestapo nous a
interrogés. On était jeunes à l’époque, alors, on a eu envie de les mener un
peu en bateau, et on leur a raconté qu’on était des officiers anglais. Et on n’en
a pas démordu. Ils nous répétaient : « Vous êtes américains. »
Vous comprenez, on avait, sans le faire exprès, semé la panique : que
pouvaient bien faire là, à ce moment précis de la guerre, deux officiers
anglais de la RAF ? Qu’est ce qu’ils font, ils envoient des parachutistes
ou quoi ?
Nous avons en fait eu deux procès. Nous nous attendions à ce
que le couperet tombe pour l’histoire de ce type que j’avais assommé. Mais il a
dû survivre puisque jamais ça n’a été mentionné. Finalement les militaires ont
déclaré que nous allions être fusillés. C’est alors que notre avocat nous a
tirés d’affaire. Nous sommes passés devant un tribunal civil qui nous a pas mal
matraqués. Police civile. Il ne faut pas oublier qu’à ce moment-là leurs
familles se faisaient tuer sous les bombes.
Autre procès, même truc : coupables, à fusiller. Et
revoilà le même officier de la Luftwaffe, notre avocat. Adroit, le gars. Quand
on y réfléchit, ça n’avait ni queue ni tête. Il essayait la psychologie. Il n’arrêtait
pas de nous rabâcher : « Je sais que vous n’êtes pas anglais. Je sais
que vous êtes américains. J’ai vécu là-bas assez longtemps. Si je leur dis que
vous êtes américains, ils vous renverront dans votre camp, tout simplement. »
Mais on a continué à dire qu’on était anglais.
Pourquoi cette obstination à vouloir vous faire passer
pour des Anglais ?
Au départ, histoire de rigoler. Et puis, on n’en a plus
démordu. Vous dire pourquoi ? j’en sais rien. Un jour, après nous avoir
répété que nous allions être fusillés, notre avocat est venu nous trouver pour
nous dire : « Les gars, vous retournez au camp 17 B. » Ils
nous avaient identifiés avec nos empreintes. Il a ajouté : « Je vous
l’avais dit. » De retour au camp, ils nous ont mis au secret. Ils nous ont
autorisés à retourner dans nos baraquements le soir de Noël, pour qu’on puisse
être avec nos copains, et nous ont renfermés juste après. L’esprit allemand.
Quand ils nous ont remis avec les autres, nous sommes allés
dans le bâtiment 40 A. À environ une centaine de mètres des clôtures. Il y
avait deux rangées de clôtures métalliques, et des rouleaux de barbelés entre. Alors
avec tout un groupe, on était dix, douze, on a décidé de creuser un tunnel dans
le cabinet de toilette. C’était du béton. Pas difficile de trouver du matériel.
Pour une cigarette un Allemand vous donnait un marteau. Mais comment casser ce
béton sans que ça s’entende ? Mais voilà, ces bons vieux Américains
avaient des orchestres. Le YMCA nous envoyait des instruments. Certains de ces
types étaient des musiciens professionnels. Ils se sont mis à jouer, et on a
cassé le béton. La plus brillante idée d’évasion jamais mise sur pied en Allemagne.
Vous avez déjà vu à la télévision des prisonniers se remplir
les poches de sable avant de sortir ? Ça se passait dans des camps pour
officiers, non ? Peut être que chez les sergents, on était plus malins ? (Il rit.) Avec nous, il y en avait qui venaient de régions minières. Un
de ceux-là a eu une idée de génie : entourer le robinet d’une chaussette, vider
les gravats dans un seau percé de trous. Comme ça, pas de bruit, et
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