La bonne guerre
les saletés
étaient évacuées sans boucher la canalisation. C’était une excellente idée, mais
on a quand même été découverts. Nous n’avions pas pensé aux vibrations que
faisait le pieu métallique à chaque fois qu’il cognait le sol.
Il y avait un périmètre d’avertissement. Au-delà de la
petite clôture, la chasse était ouverte. Si vous essayiez de franchir cette
petite clôture pour approcher de la grande, ils pouvaient vous abattre. Nous
nous alignions souvent le long de cette clôture. Il y avait des femmes dans l’armée
qui apprenaient à manier les batteries de la flak. Elles se promenaient
le soir. Quelques-unes parlaient anglais. Vous savez ce qu’elles faisaient ?
Elles enjambaient à moitié cette clôture : « Tu viens chez moi ce
soir ? », et toutes sortes de trucs du même genre. (Il rit.) L’Allemand
de garde dans son mirador se marrait. Pensez, avec soixante mètres de barbelés
et un fusil-mitrailleur braqué sur vous !
Dix-huit d’entre nous ont été envoyés en Tchécoslovaquie, puis
tout droit en Poméranie. Pour ça, on s’est baladés.
Il y avait un type de New York, un sacré personnage. C’était
tout à fait le genre de personne à qui vous disiez : « Tiens, Brinken,
fait donc ça », et il le faisait. On lui a donc demandé de nous trouver du
chewing-gum. Je devais occuper le garde qui avait un pistolet-mitrailleur. Le
garde a donc déposé son fusil par terre, et Brinken (il rit sans interruption
en racontant cette anecdote) a pris le chewing-gum, l’a roulé, et bien
roulé, et l’a introduit dans le canon. Impec. Comme ça si le type s’avisait de
tirer sur quelqu’un le pistolet explosait.
On a toujours pensé que Brinken était capable de n’importe
quoi. Il est venu me trouver : « Et si on mettait le feu à la paille ? »
Dans la confusion, on pourrait s’échapper. Il y avait des camions allemands
pour nous transporter à notre descente du wagon. J’ai pris une cigarette, j’ai
attaché des allumettes autour, et je l’ai lancée. Des types étaient déjà
descendus. Bon sang, ça s’est enflammé comme une torche. Mais ce foutu truc
nous a surpris avant même que nous ayons pu descendre. En essayant d’utiliser
sa mitraillette, l’Allemand s’est retrouvé sur le cul. Il hurlait. On se serait
crus dans une maison de fous. Les Allemands braillaient. Ils auraient pu nous
tuer, mais le capitaine von Mueller a dit dans un anglais parfait :
« Descendez de ce wagon, et tenez-vous tranquilles. » (Il rit.) Il
nous a sauvé la vie.
Nous, les sergents, ils nous ont emmenés en train dans un
autre endroit, à une dizaine de kilomètres de la frontière lituanienne. Nous y
sommes restés tant que les Russes ne faisaient pas de grosses percées. On
pouvait prédire ce qui allait se passer, et certains Allemands aussi. Arrivés à
ce stade, les Russes gagnaient du terrain. Les Allemands ont donc décidé de
nous évacuer. Ils ont embarqué douze cents prisonniers sur un chaland à charbon.
Et nous avons vogué sur la Baltique en direction de Stettin.
En chemin nous sommes tombés dans un raid aérien américain, car
il croisait dans les parages toutes sortes de navires de guerre allemands. À
Barth, où nous sommes un peu restés à quai, la gare avait été complètement
détruite. Nous avions des colis de la Croix-Rouge, et nous avons commencé à les
déballer. Un sergent allemand aux cheveux roux nous a dit : « Rangez-moi
ça. » Parce que les civils qui nous entouraient criaient. Pas seulement à
la vue de la nourriture, mais aussi parce que leur ville avait été pratiquement
anéantie. Le rouquin a demandé aux gardes de mettre baïonnette au canon. Puis
ils ont formé un cercle autour de nous tandis que le sergent disait à la foule :
« Ecartez-vous, ces hommes sont des prisonniers de guerre. » Ce type
nous a sauvés tous les dix-huit.
Quand nous sommes arrivés à Stettin, ils nous ont attachés
deux par deux avec des menottes. Il fallait que nous courions jusqu’au camp qui
était à six ou sept kilomètres. On nous a dit que si on tombait on nous
abattait. « Si je m’écroule, tu me portes ou tu fais quelque chose. »
J’étais avec un type de Philadelphie. Un sacré numéro. On aurait dit Art Carney,
il lui ressemblait, avait ses mimiques et parlait comme lui. Je lui ai dit :
« Rook, je vais tomber. » Je l’ai vu à la fin de septembre dernier, il
se souvient encore de cette histoire. Il m’a
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