La bonne guerre
regardé et m’a dit : « Bon
Dieu, Charlie, fais quelque chose. Continue. » (Il rit.)
Beaucoup de gens me demandent comment c’était dans les camps.
La seule réponse que je puisse leur donner c’est que le commandant l’est comme
un patron. Vous travaillez pour des gars bien et vous travaillez pour des
salauds. Les plus vieux étaient les mieux. C’étaient des soldats. Les SS, la
Gestapo, c’était différent. C’étaient des tortionnaires. On s’est ramassé quelque
chose avec eux. J’ai vu un type tailladé de soixante-sept coups de couteau.
Dans ce camp, un jour, on a entendu tout à coup des
acclamations. Qu’est-ce que c’est que ce bruit, bon sang ? Tout le monde s’est
approché de la clôture. C’était un gars, un grand escogriffe, un jeune type. Il
portait son barda sur l’épaule, et cette espèce de con courait comme un fou, et
pas en petites foulées, hein ! Et juste à côté de lui, il y avait un
Allemand qui le suivait à vélo. Il a fait tout le périmètre du camp. Avec tout
ce barda sur le dos. Il courait pour le plaisir. Histoire de dire :
« Merde alors, vous ne m’avez pas complètement lessivé. » Le plus
drôle là-dedans, c’était l’Allemand sur son vélo, le garde, il ne pouvait pas s’empêcher
de rire. (Il rit et fait claquer ses doigts.) Nous, ça nous a donné un
sacré coup de fouet.
Il restait encore quelques mois avant la fin de la guerre. Les
Russes faisaient une autre percée. Les Allemands recommençaient à s’inquiéter. On
est partis, tout un groupe dont quelques anciens du 7 A, vers le sud-ouest.
À pied depuis la Baltique. Deux cents environ ont été renvoyés à Barth en train.
C’est là qu’on a été libérés par les Russes, le 15 mai 45. Ça faisait deux ans,
jour pour jour, que mon avion avait été abattu. On entendait les combats, tout.
À chaque instant, quelqu’un criait : « Allez, vas-y, Oncle Joe. »
Ou alors : « Fous-leur un bon coup de pied dans le cul, Joe. »
Parce qu’alors les Allemands nous disaient que les Russes n’étaient pas loin.
Un soir nous avons capté la radio anglaise. En fait elle
était même retransmise par haut-parleur. Ils expliquaient où se trouvaient les
Russes, et tout ça. Le lendemain matin quand nous nous sommes réveillés, les
Allemands étaient partis. Nous avons encore attendu deux, trois jours.
Même quand vous êtes prisonnier, votre supérieur est encore
votre supérieur. Notre colonel nous à dit de rester tranquilles et de ne pas
quitter le camp. Et ce n’était pas évident de faire comprendre à un groupe d’Américains
de ne pas quitter le camp. Et pendant qu’il essayait de contrôler la situation,
les Russes sont entrés dans le camp. Le premier Russe que j’ai vu était avec un
Allemand dans un vieux camion à plate-forme, sans cabine. Tout ouvert. Derrière
lui arrivait une espèce de foule informe. C’était soi-disant l’armée soviétique,
mais elle semblait manquer un peu d’organisation. Il y en avait en civil, certains
sur des vélos, d’autres dans des vieux camions, d’autres à cheval. Apparemment,
il y avait un caporal soviétique qui avait l’air d’être le responsable. On
racontait que sa famille avait été massacrée par les Allemands. Il a fait
arracher une partie des clôtures à ses hommes. Avec des cordes tirées par des
chevaux. Pendant ce temps-là, notre supérieur nous disait : « Ne
bougez pas. » Il rigolait, ou quoi ? Nous sommes allés au village.
Il y avait un monde fou. Leur armement était complètement
hétéroclite. Ils avaient amené d’énormes camions, en avaient abaissé les côtés.
Et ils faisaient de la musique. Quel truc ! les gens se battaient encore à
quelques kilomètres à l’ouest, et eux jouaient de la musique et faisaient
danser les femmes. J’ai sympathisé avec le commandant soviétique, et il m’a dit
que ça, ce n’était pas vraiment leur armée. Que ces gens étaient envoyés dans
des zones comme Barth pour réduire la résistance civile. Qu’ils envoyaient
cette populace pour les terroriser. Que comme ça, quand l’armée arrivait, il n’y
avait plus de résistance. J’ai eu le privilège de voir un des gros bonnets de l’armée
soviétique, un bon ami d’Eisenhower d’ailleurs, Joukov. Il est venu voir les
prisonniers russes. Il y en avait beaucoup dans le camp. Ensuite les Russes
sont allés dans le village et ont tout pillé. Même des vélos cassés, n’importe
quoi. Ils
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