La bonne guerre
emportaient toutes ces pièces et reconstruisaient des vélos. Ils sont
repartis pour la Russie. J’ai cru comprendre que la plupart de ces gens qui
sont immédiatement retournés en Russie ont été enfermés dans des camps de
prisonniers. Je ne l’ai jamais vérifié.
Je ne suis pas convaincu que les gens que j’ai connus, les
Russes, les soldats, et nos concitoyens, les Américains, les prisonniers de
guerre, se détestent. Ne s’aiment pas, si vous préférez. Je ne pense pas qu’on
puisse changer les gens comme ça. Comme essaie de le faire une certaine presse.
Moi je dis que ça c’est la version officielle. Je crois qu’on pourrait faire
quelque chose. J’ai cru comprendre que les Russes n’avaient pas la même liberté
vis-à-vis de leurs institutions gouvernementales que nous. Il faut quand même
dire qu’une fois que nos hommes politiques sont élus, nous n’avons plus
beaucoup de poids. Les gouvernements sont tellement bizarres.
Eric Lüth
Nous sommes sur les bords de l’Alster, à Hambourg.
« Une certaine Allemagne, celle de Goethe, de Heine, de Mann, celle de la
république de Weimar, a toujours dû lutter contre les romantiques, et les
arrogants. » Dans l’Allemagne pré-hitlérienne il a été le « Benjamin »,
le plus jeune membre du parlement de Hambourg. « J’ai été un des premiers
à lire Mein Kampf. Quand j’ai lu ce texte au conseil ils ont ri. Ensuite
ils ont été surpris que ces choses terribles se soient produites. Pourquoi ?
Hitler l’avait pourtant bien dit dès le début. » Cette conversation s’est
tenue en 1967.
Sous Hitler j’ai été lâche. La lâcheté se justifie sous une
dictature. On ne peut pas être brave tous les jours. J’ai essayé d’être
courageux, mais quelle épreuve que le courage solitaire du matin au soir !
Sous le Troisième Reich j’ai dû abandonner mon métier de
journaliste pour travailler comme contremaître dans une entreprise de
confection. Il y avait des travailleurs forcés et des prisonniers de guerre, essentiellement
de Russie et d’Ukraine. Il y avait aussi des Allemands qui y travaillaient, surtout
des femmes. Les hommes étaient dans l’armée. J’ai essayé de ne pas me compromettre.
J’ai essayé de marquer mon opposition autant qu’il m’était possible, mais j’en
ai fait trop peu.
J’ai été vraiment étonné de l’attitude des gens dans cette
usine. Les Russes étaient particulièrement mal nourris, et mal habillés pendant
l’hiver. Le parti nazi interdisait de leur donner des chaussures, des vêtements
et de la nourriture. Mais il y avait des Allemandes qui leur en apportaient, et
même aussi du savon. C’était un merveilleux exemple de solidarité humaine.
Nous n’avons pas été informés de la défaite de Stalingrad. Les
Ukrainiennes la connaissaient, je ne sais pas comment elles l’avaient apprise. Elles
sont allées dans leurs baratines et ont dansé de joie. Une espionne nazie l’a
découvert et l’a dit à la Gestapo. Ils sont arrivés avec des casques d’acier et
des carabines et les ont frappées jusqu’à ce qu’elles soient estropiées et
défigurées.
Le lendemain matin j’ai rencontré une de ces femmes qui m’a
montré ses blessures. Je suis allé en faire part à la secrétaire du directeur
général. Elle a pâli. Sur ces entrefaites un SS est entré. Nous nous sommes tus.
Il nous a demandé : « Pourquoi ne dites-vous rien ? De quoi
parliez-vous ? » Elle le lui a dit. J’étais étonné. Cette fille qui
était vraiment jeune a dit : « J’ai honte d’être allemande. » Le
plus étonnant c’est qu’il n’y a pas eu de suites. Il n’a rien dit, et il ne l’a
pas dénoncée.
À la maison nous vivions constamment dans la peur. Je
craignais en permanence qu’ils ne découvrent mes opinions. Un de mes frères
était déjà en camp de concentration. Il était libraire. Vous savez qu’avant qu’ils
envoient des millions de Juifs dans les camps ils avaient envoyé des centaines
de milliers d’Allemands : des démocrates, des poètes, des pasteurs, des
étudiants, des ouvriers.
J’étais fiché et ça me suivait partout. J’étais sans cesse
soumis à des contrôles et interrogé par les nazis. D’autre part je ne pouvais
pas m’empêcher d’écouter la BBC et la Voix de l’Amérique. J’entendais les
discours de Thomas Mann. De nombreux Allemands l’ont entendu. Après la
capitulation je l’ai rencontré à Zurich. Je lui ai dit que ses
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