La bonne guerre
temps pour découvrir des Juifs, installés dans des maisons abandonnées
ou sur des tas de fumier. Il y avait des fosses communes en dehors de ces
villes, dans les magnifiques collines de Bavière.
Au début les Allemands étaient plutôt réticents pour leur
procurer des logements. Comme j’étais assimilé au rang de lieutenant-colonel au
quartier général de la 4 e division blindée à Ratisbonne, je
présentais les ordres d’Eisenhower pour montrer que ces Juifs avaient droit à
des maisons. Je ne donnais généralement pas plus de vingt-quatre heures à ces
bourgmestres un peu hâtivement désignés. Pas un seul des centaines d’Allemands
avec qui j’avais discuté ne ressentait le moindre sentiment de culpabilité. Ils
parlaient tous de « ces affreux nazis ». Ce n’est que le dernier jour,
dans le train de Francfort à Brème, que pour la seule et unique fois j’ai
rencontré quelqu’un, un employé des chemins de fer, qui reconnaissait la
responsabilité des Allemands.
Le nombre des sans-abri augmentait sans cesse. Des Juifs
sont arrivés de Pologne après le pogrom de Kielce en 46.
Les Polonais ont commencé à tuer les Juifs à leur retour d’Allemagne.
Ils ne voulaient pas les revoir. Petit à petit les Juifs sont arrivés de Russie
dans la zone américaine. Des vivres arrivaient tout doucement de Hollande. C’est
également à ce moment-là que les Russes ont commencé à refouler en zone
américaine des centaines de milliers d’Allemands, de Tchécoslovaquie et d’ailleurs.
Ils vidaient les hôpitaux psychiatriques.
De toute manière, il n’y avait pas de quoi les loger. L’état-major
avait pensé au camp de Pocking, où Göring avait installé une gigantesque base
aérienne. Il s’y trouvait des centaines de Hongrois, et environ deux mille
Polonais. Les Polonais avaient été des travailleurs forcés, mais les Hongrois
étaient venus avec femmes et enfants pour travailler pour Hitler. Il fallait
voir les Hongroises se pavaner dans leurs manteaux de fourrure. Nous avons
examiné les lieux et déclaré à l’armée que si elle évacuait les Hongrois et les
Polonais nous prendrions le camp. En six mois, neuf mille Juifs y étaient
installés.
Peu de temps après l’ouverture de ce camp, le général m’a
appelé pour me dire qu’il y avait un problème : les Juifs brûlaient leurs
lits. Je me suis rendu sur place pour voir ce qui se passait. Nous avons
découvert qu’en partant les Polonais avaient emporté tout le bois qu’il y avait.
Quand l’armée avait réquisitionné les scies et les haches, elle avait omis de
le faire dans le camp. Tout ça avait été vendu au marché noir. Et les Juifs
avaient dû brûler leurs matelas pour se chauffer.
Je suis tombé sur trente enfants qui dormaient sur des
matelas de paille. C’était une fille de seize ans qui s’occupait d’eux. Je lui
ai demandé : « De quoi ont besoin ces enfants ? » Elle ne m’a
pas demandé de vêtements. Elle n’a pas non plus demandé de bonbons. Elle m’a
dit : « Il faut que ces enfants aillent à l’école. Donnez-nous du papier
et trouvez-nous de quoi écrire. »
Le premier enfant que j’ai vu au cours des trois premiers
mois que j’ai passés en Europe était une petite fille qui s’appelait Ruthie. Son
père avait été tué et sa mère l’avait cachée dans une famille polonaise. Elle
était chétive et maigre comme un haricot. On l’avait cachée dans des greniers
et des caves. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait. Elle m’a textuellement
répondu : « J’ai dix ans et je ne suis jamais allée à l’école. Aidez-moi
à aller à l’école. »
Nous avons trouvé des centaines de jeunes qui avaient été
cachés par des familles chrétiennes, dans des monastères ou ailleurs. Nous les
avons ramenés en zone américaine.
Une fois, un homme était assis avec un jeune enfant de dix
ans. Il avait fait partie des partisans en Pologne pendant la guerre, vivant
dans la forêt et tuant. J’ai demandé au gosse : « Qu’est-ce que tu
faisais ? » Le père m’a répondu qu’il était un partisanchik, un
petit partisan. Le gosse m’a dit en yiddish : « La nuit, avec d’autres
enfants, on se faufilait en ville pour voler de quoi manger. Et quand il
fallait qu’on tire, on tirait. »
Douze cents Juifs à peu près avaient survécu dans le camp de
la mort de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie. On les a envoyés en zone
américaine, à Deggendorf. Un de mes
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