La bonne guerre
guerre j’ai été dans cinq camps de travaux forcés. Depuis la fin de la
guerre j’ai arpenté l’Allemagne et la Pologne, à la recherche de mon père. Quand
je suis rentré à la maison hier soir, j’ai trouvé ce journal dans la cuisine. Il
y a un article de mon père dedans. Où est-ce qu’il est ? » Et j’ai
réuni le père et le fils.
À Ratisbonne, j’ai rencontré un homme et ses deux fils qui
lisaient le même livre de prières. Ils appartenaient à une secte très orthodoxe.
Ils pensaient être trois des quinze survivants des quinze mille habitants de la
ville de Zalachov en Pologne. C’était un livre de 150 pages. Entièrement écrit
à la main. (Il ouvre quelque chose qui ressemble à un livre rare, méticuleusement
manuscrit.) Cet homme s’était caché en Pologne, dans une cave où il ne
pouvait même pas tenir debout. Il avait réussi à se procurer de l’encre et à
fixer un encrier autour de son cou. Il avait aussi trouvé du papier. Il ne
savait pas s’il survivrait. Les Allemands avaient tout détruit dans la synagogue,
tous les vestiges du judaïsme. Ils avaient déchiré les torahs. Il m’a dit :
« Il fallait que les enfants puissent prier. » Alors il a entièrement
écrit ce livre de prières à la main, dans la cave, dans le noir.
Il y avait autre chose que je voulais faire. Je savais que
Dachau n’était pas très loin de Munich. Alors, par un beau matin d’octobre, j’y
suis allé, mais mon chauffeur, lui, était plutôt réticent. Derrière les murs il
y avait des Allemands en uniforme qui jouaient au football. Je suis entré dans
un bâtiment et tout le reste a soudain cessé d’exister. J’étais entré dans une
chambre à gaz. Maintenant c’est un musée propret aux murs peints en blanc. Quand
j’y suis allé, les murs étaient encore couverts de sang. En mourant, les gens s’étaient
cognés la tête contre les murs.
Je suis entré dans la pièce suivante où se trouvaient deux
ou trois fours. Au-dessus, il y avait une grande pancarte : « Le
devoir des Allemands est d’être propres. Lavez-vous les mains. » Je suis
descendu au sous-sol. On ne peut plus y aller maintenant. Rappelez-vous que
tout ça se passait eu 45, sans gardes, sans personne. Mon chauffeur et moi, nous
nous y sommes promenés tous les deux. Je me suis retrouvé dans une pièce dont
les murs étaient couverts d’étagères sur lesquelles se trouvaient des jarres de
terre. Il y avait deux barriques de cendres humaines. Ça nous a glacé le sang. Je
me suis retourné vers la droite et je me suis accroché à ce qui me tombait sous
la main. Il fallait que je sorte au grand jour. Le chauffeur m’a dit :
« Qu’est-ce que vous avez dans la main ? » Le couvercle de la jarre
m’était resté collé à la main. (Il me tend les deux morceaux.) Vous
voyez la date ? Dachau, Allemagne, 6 octobre 1945.
J’ai découvert qui étaient en réalité ces Allemands qui
jouaient au football. À la libération de Dachau de nombreux gardes se sont fait
tuer, d’autres ont été faits prisonniers. C’étaient ces types-là. L’armée leur
donnait 4 000 calories par jour. Les Juifs de Munich, les survivants des
camps de la mort, avaient 1 600 calories.
Le chauffeur, placide, m’a dit : « Vous savez
pourquoi je n’avais pas envie de venir ici ? J’étais dans le dernier train
pour Dachau. Les Américains approchaient, le train est arrivé et ils ont
commencé une marche de la mort avec le millier de personnes qu’ils ont fait
descendre du train. Les Allemands en ont tué à peu près la moitié. J’étais de
ceux qui erraient dans Munich. C’est d’ailleurs là que vous m’avez trouvé. Qui
aurait pensé qu’un jour j’entrerais dans la chambre à gaz et que j’en
ressortirais vivant ? »
Le même mois je suis allé assister à un mariage à Nuremberg.
Il était célébré dans un kibboutz qui avait été un temps la ferme de Julius
Streicher. Le lendemain matin je me suis rendu au stade. Est-ce que vous pouvez
essayer d’imaginer une jeep qui entre dans le stade où Hitler s’est adressé à
un quart de million de personnes ? Je suis passé devant le tribunal. Le
premier procès s’y déroulait.
J’ai demandé à mon chauffeur de s’arrêter. J’étais encore en
uniforme. J’ai donné mon revolver à mon chauffeur.
Pourquoi portiez-vous un revolver ?
Pour la sécurité. La plupart du temps je me déplaçais de
nuit. J’aurais pu me faire voler ou me faire
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