La bonne guerre
tuer par n’importe qui, des
Allemands ou simplement des gens qui avaient faim. Il y en avait plein les rues.
Il ne faut pas oublier que c’était l’Europe d’après-guerre. (Il sort un
laissez-passer et fouille de nouveau dans la pile qui se trouve sur son bureau.) Tenez, voilà le plan, voilà dans quel ordre ils étaient assis :
Göring, Hess, Keitel, Ribbentrop, Rosenberg, Frank, Frick, Streicher, toute la
bande. Tous ces hommes étaient en face de moi. Un groupe d’hommes bien mis, serviettes,
journaux, magazines à la main. Vous auriez pu les prendre pour les membres du
conseil d’administration d’IBM avant une réunion.
Quand Göring et Hess sont entrés, j’ai remarqué que
quelques-uns des Allemands ont claqué des talons et leur ont serré la main. Quelques
autres leur ont tourné le dos. Göring s’est enveloppé dans une grande
couverture, s’est assis, a baissé la tête, et a dormi une heure ou deux, tout
le temps que je suis resté là. Hess, assis à côté de lui, s’est mis à écrire. Schacht
a gardé les yeux rivés au plafond en permanence. Quant à Keitel et aux autres, ils
avaient l’air de s’ennuyer profondément.
À la barre, un témoin, un survivant, décrivait comment les
Allemands remplissaient les synagogues de Juifs, y mettaient le feu, encerclaient
le bâtiment armés de mitraillettes et tuaient tous les fuyards. J’étais assis
là, au troisième rang. Je regardais ces gens qui s’ennuyaient, et honnêtement
je dois avouer que si j’avais eu un revolver sur moi j’aurais commencé à tirer
et je serais mort.
Ce qui me tracasse c’est que j’ai soixante-quinze ans, et
Dieu sait que je ne suis pas très pratiquant. J’assiste aux services religieux,
c’est vrai. Tout le monde a ses raisons. Je prie pour la paix. Mais je me rends
compte de tout ce qui se passe de par le monde, de toute la souffrance. Qu’est-ce
que l’homme a appris ? J’ai vu avec quelle force les gens pouvaient lutter
pour vivre. Mais tant qu’il y aura des hommes avides de pouvoir, il y aura des
guerres. Et toutes ces prières…
Un tournant
Joseph Polowsky
25 avril : il se tient sur le pont de Michigan
Avenue à Chicago. Tantôt il porte une grande pancarte, tantôt il distribue des
tracts. Il est autant missionnaire que sentinelle. Depuis dix ans, à la même
date, il vient sur ce pont. Il commémore un moment de sa vie, et de la nôtre
pense-t-il. Le 25 avril 1945 une patrouille de GI faisait la jonction avec les
Russes sur les bords de l’Elbe, et il y était.
À la fin de la guerre il a mis sur pied l’association des
Vétérans de l’Elbe. Il a même parfois organisé des rencontres entre ses
camarades et les Russes. Il a écrit de sa propre main des milliers de lettres à
des présidents de sociétés, des hommes politiques, des directeurs de journaux
et des journalistes. Il a publié d’innombrables articles. Il n’y a que cela qui
compte pour lui.
Ancien chauffeur de taxi, il a soixante-six ans, et il
est atteint d’un cancer généralisé.
J’étais artilleur, simple soldat, compagnie G, 273 e d’infanterie, 3 e peloton, 69 e division, 1 re armée.
Nous avions déjà participé à une quantité de combats. Nous étions dans une zone
calme près de la Mulde, un affluent de l’Elbe. Dans la ville de Trebsen, à unetrentaine de kilomètres à l’ouest de l’Elbe. C’était le 24
avril.
J’ai été appelé au quartier général de la compagnie. Ils
vérifiaient les papiers des Allemands, pour repérer les suspects et les anciens
nazis, et contrôlaient les documents de ceux qui voulaient avoir des postes
officiels. J’étais le seul de la compagnie à avoir une bonne connaissance de l’allemand.
Un coup de fil est arrivé du quartier général du bataillon. Il
leur fallait immédiatement une patrouille de vingt-huit hommes et sept jeeps
pour aller à environ sept ou huit kilomètres en avant des lignes essayer de repérer
les positions soviétiques. Ils devaient se trouver à trente ou quarante
kilomètres de nous.
De l’avis de tous, l’homme le plus capable de commander un
peloton était le lieutenant Kotzebue. Un jeune homme posé d’environ vingt-deux
ans. J’en avais vingt-six. Il a rapidement rassemblé hommes et véhicules et il
a pris une carte de la région. J’étais dans sa jeep, parce que je parlais
allemand. Nous avions été avertis par d’autres compagnies que des pelotons
avaient subi des attaques allemandes très meurtrières dans
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