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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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soviétiques.
    Il s’était passé la chose suivante. Le pont avait été
bombardé pendant au moins trois jours. Une gigantesque vague de civils, des
Allemands pour la plupart, une masse considérable de personnes, s’était
approchée du pont, fuyant vers l’ouest pour échapper aux Russes. Ils s’étaient
donc fait coincer là, leurs corps entassés comme des piles de bois tout le long
de la berge. Sur cinquante mètres, de chaque côté du pont, ce n’était qu’un
entassement de cadavres de femmes, d’enfants et de vieillards. Je revois encore
le corps d’une petite fille qui serrait une poupée dans une main, juste là devant
moi. Elle ne devait pas avoir plus de cinq ou six ans. Son autre main serrait
celle de sa mère. On aurait dit des bûches bien rangées les unes sur les autres
le long de la berge.
    Comment cela s’était-il produit ? Qui sait ? En
partie des tirs allemands, peut-être aussi des avions alliés qui bombardaient
le pont, probablement aussi l’artillerie soviétique qui était à une dizaine de
kilomètres. C’était une zone en creux, impossible d’y voir quoi que ce soit. Ç’avait
été un accident. Il y en a tellement eu pendant la guerre.
    En fait, à cause de tous ces corps il était difficile pour
les Russes de se frayer un chemin pour venir à notre rencontre. Nous étions
donc là, tout à notre joie, et en même temps il y avait cette mer de morts. Kotzebue,
qui était très croyant, était terriblement ému. Il ne connaissait pas le russe.
Les Russes ne connaissaient pas l’anglais. Il m’a dit : « Joe, prenons
une résolution avec ces Russes ici et ceux qui sont en haut de la berge : pour
marquer l’importance de ce jour dans la vie de nos deux pays et pour
symboliquement rendre hommage à toutes ces victimes civiles, parlons allemand. »
Moi je traduisais en anglais pour Kotzebue, et un des Russes qui parlait allemand
traduisait pour les autres Russes. C’était totalement improvisé, sans rien d’officiel,
mais ç’a été un moment très solennel. Nous avions presque tous les larmes aux
yeux. Nous pressentions peut-être que l’avenir ne serait pas aussi parfait que
nous le pensions. Nous nous sommes embrassés. Nous avons juré de ne jamais oublier.
    Quand nous sommes arrivés en haut de la berge, le
lieutenant-colonel Gardead était là. Il nous a salués, et nous avons encore
prêté serment. L’essentiel de la mission de Kotzebue consistait à contacter les
Américains au plus tôt. Nos radios étaient dans nos jeeps, de l’autre côté de l’Elbe.
Gardead nous a donc dit d’y aller et de revenir ensuite. Nous avions bu, nous
nous étions embrassés, nous avions porté de nombreux toasts. Les Russes avaient
apporté de la vodka, de la bière et du vin allemand. Nous étions vraiment soûls,
mais pas à cause de l’alcool. Gardead nous a dit : « Il faut absolument
que vous préveniez les autres. Une fois que vous aurez fini, entassez-vous dans
les jeeps, traversez sur un bac, et venez nous rejoindre ici pour qu’on continue
notre petite fête. » Il a envoyé deux Russes avec nous.
    Dès que nous sommes arrivés de l’autre côté, Kotzebue est
entré en contact avec le quartier général. Il leur a expliqué où nous étions à
Strehla. Mais les liaisons étaient brouillées. Les communications radios
fonctionnent rarement bien pendant les combats. Une heure s’était écoulée et
nous commencions à nous impatienter. Il voulait absolument communiquer avec les
forces américaines. Soit pour que les Russes viennent jusqu’aux lignes
américaines, soit pour que les Américains montent vers les Russes.
    Une fois les liaisons assurées, nous nous sommes entassés
dans les jeeps avec les deux Russes. Nous sommes remontés vers le nord sur cinq
ou six kilomètres pour atteindre le bac actionné manuellement, et nous avons
rejoint les lignes soviétiques. Alors que nous montions la berge, Kotzebue m’a
tendu la carte, et il m’a dit : « Tu as fait du bon boulot, tiens, je
te donne un petit cadeau. » Je l’ai gardée en souvenir. On m’en a d’ailleurs
offert une somme considérable. Mais, bien sûr, il n’est pas question que je m’en
sépare. Elle n’est pas à vendre.
    Comme nous l’avons appris plus tard, les sentiments étaient
très mitigés au quartier général américain. Nous n’étions pas censés rencontrer
les Russes. Bien entendu, ils étaient ravis au fond d’eux-mêmes que nous ayons
effectué la jonction sans

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