La bonne guerre
cette région.
Nous étions à cent vingt kilomètres au sud de Berlin. La
bataille de Berlin se livrait au nord de l’endroit où nous nous trouvions. Tous
les soldats allemands avaient été appelés pour défendre la ville. Nous avons
cependant croisé de nombreux déserteurs. Un flot continu. Certains s’étaient
même habillés en femmes. Mais il y avait surtout beaucoup de réfugiés civils
qui fuyaient devant les Russes. Ils bloquaient continuellement la route. C’étaient
surtout des femmes, des enfants et des vieillards.
En étant partis vers midi, nous n’avions réussi à parcourir
qu’une dizaine de kilomètres. Ça vous donne une idée de la vitesse à laquelle
nous avancions. Nous avons fait halte dans une petite ville du nom de Kübren. Kotzebue
a épluché les cartes toute la soirée, et nous avons interrogé tous les gens
susceptibles d’avoir une idée de l’endroit où se trouvaient les Russes.
En fait, nous n’étions pas censés aller jusqu’à eux. Si nous
les rencontrions, il nous faudrait en accepter toutes les conséquences si cela
devait mal tourner. Le quartier général d’Eisenhower établissait en détail des
plans de rencontre avec les Soviétiques. Nous, nous n’étions qu’une patrouille.
On nous avait dit qu’au-delà de huit kilomètres nous avancions à nos risques et
périls. Au moindre incident, au lieu d’être traités en héros nous risquions la
cour martiale.
Ils craignaient qu’il n’y ait des accidents si les deux
armées arrivaient l’une sur l’autre à toute vitesse. Deux armées, même alliées,
se fonçant dessus à toute allure, ça ferait certainement des blessés. C’est
pour ça qu’Eisenhower et Joukov s’étaient entendu pour que leurs armées s’arrêtent
à environ trente-cinq kilomètres l’une de l’autre. C’est ainsi que nous nous
sommes arrêtés à la Mulde, et eux à l’Elbe.
Quand nous avons fait halte pour la nuit nous n’avions
parcouru qu’un tiers de la distance. À l’aube Kotzebue avait pris sa décision :
on continuait. Tout le monde l’a acclamé. Nous avons sauté dans les jeeps et
nous avons continué. Nous ne savions pas ce que nous allions trouver. À midi
nous avons également vu de longues files de civils libérés des camps de
concentration, des travailleurs forcés et des soldats alliés.
Me croirez-vous ? Mais en nous approchant de l’Elbe il
y avait partout des lilas en fleur. Quelle joie d’être en vie après tous ces
jours que nous avions passés coincés dans une guerre de tranchées ! Nous
plaisantions aussi, disant que nous approchions du Jourdain et allions entrer
dans Canaan. Bien sûr, nous étions tristes de savoir que le président Roosevelt
était mort deux semaines plus tôt à peu près. Nous savions aussi que l’ONU
venait d’être créée le jour même, le 25 avril, à San Francisco. Vous vous
rendez compte ? Le jour où nous avons fait la jonction avec les Russes sur
les bords de l’Elbe.
Nous avons été terriblement émus à la vue de l’Elbe. Il
était à peu près 11 h 30 du matin. L’Elbe est un fleuve à fort débit, d’environ
cent soixante-dix mètres de large. Kotzebue a envoyé deux fusées éclairantes
vertes. Environ dix minutes plus tard, en criant, et avec le vent qui soufflait
de l’ouest, nos voix ont pu porter de l’autre côté du fleuve. Les Russes nous
ont fait des grands signes et nous ont donné le signal d’approcher de leurs
lignes. Le problème c’était de traverser le fleuve. Entre les Allemands qui
fuyaient, les forces alliées qui bombardaient les approches des ponts, l’artillerie
soviétique qui faisait sauter les ponts, il ne restait plus un seul pont pour
traverser. Nous étions à Strehla, à une vingtaine de kilomètres au sud de Torgau.
De l’autre côté de l’Elbe, du côté soviétique, il restait
une partie de pont métallique qui avançait à peu près de cinquante mètres
au-dessus du fleuve. De notre côté une lourde chaîne retenait une barge et deux
voiliers. Avec une grenade à main, Kotzebue a fait sauter la chaîne. Nous nous
sommes entassés à six dans un voilier. Il y avait des espèces de pagaies. Au
prix d’efforts considérables nous sommes parvenus à guider le bateau entre les
poutrelles sur la rive opposée du fleuve. Quand nous avons commencé à grimper, trois
soldats russes se sont approchés de la berge. Pourquoi trois seulement ? Plus
loin, sur la route, nous pouvions voir de nombreux soldats
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