La bonne guerre
boulots consistait à les aider à entrer en
contact avec les autres membres de leur famille à travers le monde. Un Juif est
venu me trouver pour me dire qu’il avait un oncle du nom de Sam Goldberg qui
était parti en Amérique en 1915, à moins qu’il ne s’agisse de Abe Silverstein, et
qui devait habiter soit à Clevaland, soit à Nev York. (Il rit.) Est-ce
que je pourrais retrouver son oncle ?
J’ai télégraphié en Amérique, je me suis procuré les
annuaires téléphoniques des grandes villes. Et j’ai passé mes nuits à écrire
aux Goldberg, aux Cohen, et autres Silverstein de Chicago, leur précisant qu’un
certain Sam Goldberg, dont les parents étaient comme ci et comme ça, allait
arriver aux États-Unis. Seriez-vous par hasard de sa famille ? Nous avons
envoyé les mêmes lettres en Argentine et au Canada. C’était toujours un grand
moment quand je recevais une lettre me disant : « C’est mon frère
bien-aimé, perdu depuis si longtemps. » Et nous les réunissions.
(Il me tend un journal.) C’est le premier journal
yiddish publié en Allemagne après la guerre. J’étais là quand le premier
exemplaire est sorti des presses.
Pendant l’hiver 46, trois hommes sont entrés dans mon bureau
de Ratisbonne. L’un d’entre eux était Nathan Silberberg. Avant la guerre, il
avait été rédacteur en chef du Moment, le plus grand journal yiddish de
Pologne. Il m’a dit : « Vous nous donnez la nourriture, les vêtements
et le gîte. Maintenant, nous avons besoin de quelque chose pour le Geist ,
l’esprit : un journal. Il existe à Francfort une société avec laquelle j’ai
travaillé pendant vingt-cinq ans. Je sais où se trouve leur linotype yiddish. Si
j’y retournais, je suis sûr que je la trouverais. Ces deux hommes vont m’aider
à écumer l’Allemagne à la recherche de linotypistes yiddish. Nous avons trouvé
à Ratisbonne un Allemand qui est prêt à mettre son matériel à notre disposition.
Nous avons découvert un Allemand qui a de l’encre qui a échappé aux
perquisitions de l’armée. Et nous avons déniché un entrepôt de papier. Il nous
faut de l’argent pour financer l’affaire, plus une réquisition de l’armée. »
Et le journal a été édité.
Dans la région, les Juifs le dévoraient. Certaines des
choses qu’ils avaient vécues y étaient décrites. On y trouvait des
renseignements concernant les recherches de parents. La situation présente y
était également analysée. D’autres camps ont également publié leurs journaux. (Il
tire un autre journal de la pile.) Tenez, en voici un de Bergen-Belsen : Notre Parole.
Un jour j’ai reçu un coup de fil affolé : « Des
Juifs sont en train de se faire tuer dans une gare. » Je m’y suis
précipité et j’ai découvert six cents Juifs en train de dormir dans des wagons
de marchandise. J’ai appris que la nuit précédente ils étaient dans un camp, à
Linz en Autriche. On les avait prévenus une heure avant de les embarquer dans
le train, et on leur avait donné deux tranches de pain, mais pas d’eau. Exactement
ce qu’avaient fait les Allemands. On les transférait dans un camp proche de la
frontière tchèque, sur ordre des Américains. La locomotive était tombée en
panne. Pendant la nuit des petits voyous de GI s’étaient amusés à tirer en l’air,
et dans les wagons les gens pensaient qu’ils tuaient des Juifs.
Vers minuit j’ai reçu un coup de fil de Silberberg, le
rédacteur en chef de Munich : « Trois Juifs se sont enfuis pendant le
transport. Ils sont avec moi. Ils n’ont aucun papier d’identité. Venez vite. »
J’ai sauté dans une jeep, et je suis allé là-bas pour les rencontrer. L’un d’entre
eux était un célèbre écrivain allemand. Le deuxième était un jeune poète qui
avait réussi à survivre comme il avait pu en Allemagne et en Russie. Le
troisième était essayiste. Silberberg m’a dit : « Le journal doit
être mis sous presse demain. Si vous me permettez de dépenser des fonds
supplémentaires, je le recompose pour y publier un article, un poème et un
essai de ces hommes, afin de faire savoir au monde qu’ils sont en vie. »
À Bamberg je suis tombé sur un gamin au comportement bizarre.
Il tenait à la main un exemplaire du journal comme s’il lui brûlait les doigts.
Il tremblait. Il m’a dit : « Mon père était écrivain à Lodz. Il est
parti à Varsovie pour voir son éditeur, et je ne l’ai plus revu depuis. Pendant
la
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