La bonne guerre
le commandant du bataillon Abraham Lincoln. C’étaient
des volontaires américains qui combattaient du côté des loyalistes durant la
guerre d’Espagne. Avec d’autres jeunes étrangers ils ont formé les Brigades
internationales.
Pour moi, la seconde guerre mondiale a commencé le 18
juillet 1936. C’est ce jour-là que les premiers tirs ont eu lieu dans Madrid. Pour
quelques-uns d’entre nous la lutte avait débuté bien plus tôt.
Pendant les années trente, le métro aérien de la Sixième
avenue était en cours de démolition, et toute la ferraille était envoyée au
Japon. Nous, on disait qu’on allait la récupérer sous forme de bombes. Le Japon
avait déjà envahi la Mandchourie. Nous refusions de sortir avec des filles qui
portaient des bas de soie et des sous-vêtements de soie (il rit), parce
que toute la soie venait du Japon. On organisait des manifestations, des
meetings publics dans les rues et des boycotts. Nous avons collecté de l’argent
pour Hailé Sélassié quand les Italiens ont bombardé l’Ethiopie. Je travaillais
soixante heures par semaine au Garment Center, et je ne dormais jamais beaucoup.
On militait au sein de la Ligue antifasciste, et on faisait tout ce qu’on
pouvait pour les aider.
Nous sommes partis en Espagne dès que l’occasion s’est
présentée. Il fallait essayer d’arrêter la guerre qui menaçait. Hitler
dévoilait son vrai visage. On savait tous très bien de quoi il voulait parler
dans Mein Kampf. On savait ce qui attendait les Juifs.
Quand j’ai quitté l’Espagne, j’ai continué en France. Nous
étions un petit groupe. Les réfugiés espagnols étaient sur les plages
françaises, dans des camps de concentration, et devaient être renvoyés à Franco.
Et ils se seraient presque tous fait exécuter ou jeter en prison. On essayait
donc de les aider de notre mieux. À New York, La Guardia avait fait passer une
loi interdisant les manifestations devant les consulats étrangers. C’est
pourtant ce que nous avons fait : juste en face de Saint-Patrick, sur la
Cinquième-avenue, on a bloqué la circulation à midi, et soixante-quinze d’entre
nous se sont fait arrêter.
Vincent Sheean [21] était un de mes amis. Sa femme et lui étaient proches de Wild Bill Donovan, qui
possédait un cabinet de conseil juridique au n° 1 de Wall Street. À cette
époque les nazis avaient envahi la Pologne, et Donovan était le représentant de
Roosevelt auprès des services secrets anglais. Il m’a dit : « Voulez-vous
que mon cabinet se charge gracieusement de votre défense ? » Je lui
ai répondu : « Ma foi, oui. » (Il rit.) Jamais aucun des
avocats du 1 Wall Street ne nous a défendus. (Il rit.) Nous avons été
emprisonnésquinze jours, et il m’a mis en contact avec
les services secrets britanniques.
J’ai donc travaillé pour eux, avec pour tâche de réunir les
membres des Brigades internationales que je connaissais dans le pays. Nous n’étions
pas encore entrés en guerre, mais nous savions déjà que tôt ou tard ça allait
venir. Ils cherchaient à envoyer des types derrière les lignes en Yougoslavie, en
Autriche, en Italie, en Tchécoslovaquie et en Pologne. J’ai fait le tour du
pays pour recruter les types en question. Nous étions tous rattachés aux
services secrets britanniques et on avait pour mission de regrouper les
diverses forces de libération et d’organiser des mouvements partisans dans ces
pays-là.
Après Pearl Harbor j’ai travaillé pour les services
stratégiques de l’OSS. Par l’intermédiaire de l’Espagne fasciste, les nazis
disposaient d’un gigantesque réseau de renseignements, surtout dans le golfe du
Mexique et dans les Caraïbes, qui les informait sur les convois maritimes. D’ailleurs
on a perdu un grand nombre de bâtiments. À l’aide de relations établies durant
la guerre d’Espagne et de contacts au sein du parti communiste, on a donc
organisé des réseaux de contre-espionnage, qui se sont d’ailleurs révélés très
efficaces.
Un des arrangements conclus avec Donovan consistait à mettre
sur pied un groupe qui s’infiltrerait en Espagne pour renverser Franco, et
rétablir le gouvernement républicain qui avait été élu démocratiquement. Mais
ça ne s’est finalement jamais concrétisé. Franco était un sacré malin, et il
ménageait la chèvre et le chou, si bien que Roosevelt ne l’a jamais vraiment
poussé dans ses retranchements.
J’ai ensuite quitté l’OSS et je me suis porté
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