La bonne guerre
bon bout de temps avant que je
comprenne où voulaient en venir les nazis.
En 1935, Hitler visitait Hambourg pour la première fois. Le
directeur de l’école avait rassemblé tous les enfants dans la cour de l’école
pour leur annoncer que ça allait être une journée historique, que nous n’oublierions
jamais. Je ne pouvais pas soupçonner à l’époque à quel point il disait vrai. Ce
jour-là nous allions voir notre Führer, une chance unique de le voir en chair
et en os.
Bien entendu les cours avaient été suspendus pour la journée,
et ils nous ont fait marcher jusqu’à la route de l’aéroport de Hambourg. Nous
étions tous en rangs, une mer de gosses à attendre l’arrivée de Hitler. J’étais
un de ceux qui criaient le plus fort quand j’ai vu Hitler passer devant nous, les
bras tendus, dans sa Mercedes noire. Vous imaginez un peu ce petit Noir criant
à pleins poumons ? (Il rit.)
Il y a eu une campagne d’enrôlement des jeunes enfants dans
les Jeunesses Hitlériennes. Je voulais bien sûr en faire partie. Ma mère m’a
alors expliqué : « Écoute, Hans, tu ne le comprends peut-être pas
encore, mais ils ne veulent pas de toi. » Je n’arrivais pas à l’admettre.
Tous mes amis portaient ces shorts noirs et ces chemises
brunes, avec une croix gammée et une petite dague avec l’inscription « Sang
et Honneur », et je voulais être comme tout le monde. Je voulais faire
partie du groupe, c’étaient mes copains de classe.
Ma mère était assez naïve en politique, et elle m’a même
accompagné à un des quartiers généraux des Jeunesses Hitlériennes, pensant qu’ils
feraient peut-être une exception. Ça les a bien fait rigoler.
À force de me faire rejeter comme ça j’ai fini par me poser
des questions. Les instituteurs devaient expliquer aux gosses qu’il y avait des
races inférieures, et ils avaient dans leur classe un gamin qui récoltait
toujours de très bonnes notes, qui était excellent en sport, qui était bien souvent
meilleur que la plupart de leurs élèves aryens. Ça leur était difficile de dire :
« Voyez, Hans Massaquoi est un être inférieur. » Ça leur pesait tant
que certains professeurs ont commencé à trafiquer mes notes. En plus j’avais
plein de copains, parce que c’était presque toujours moi le leader.
En 1936 notre classe a eu l’occasion d’aller à Berlin
assister aux jeux Olympiques. Il ne faut pas croire que tous les Allemands
gobaient les absurdités de Hitler. Jesse Owens était indubitablement le héros
de tous les Allemands, c’était l’enfant chéri des jeux Olympiques de 1936. À
part une petite élite nazie, ils portaient vraiment dans leur cœur ce Noir qui
courait du tonnerre de Dieu. Et moi j’étais fier d’être assis sur ces gradins.
J’ai revu Hitler cette fois-là, il a mis un point d’honneur
à ne pas être présent pour la victoire de Jesse Owens. Il ne voulait pas
assister à la victoire d’un non-Aryen.
Cette même année 36, Max Schmeling s’est rendu aux
États-Unis pour affronter Joe Louis. J’étais pour Schmeling, et lorsque Louis l’a
battu en 38 j’ai été catastrophé. C’est vous dire à quel point je me sentais
allemand. Hans Massaquoi, le petit Noir, ne comptait pas, j’étais hambourgeois
et Schmeling était mon homme.
Il me paraît assez clair que si le commandement nazi avait
connu mon existence j’aurais fini dans une chambre à gaz ou à Auschwitz. Ce qui
m’a sauvé c’est qu’il n’y avait pas de Noirs en Allemagne. Aucun organisme ne
pourchassait les Noirs, l’institution chargée d’arrêter les Juifs envoyait dans
tous les foyers des questionnaires demandant si vous étiez juif ou pas. Moi je
pouvais toujours répondre sans mentir que je n’étais pas juif.
Ma mère n’a plus eu d’autre choix que de devenir femme de
ménage. Elle était tellement appréciée des gens avec qui elle avait travaillé à
l’hôpital que les médecins n’ont pas hésité à l’employer pour le ménage. Voilà
à quoi elle était réduite pour survivre.
Mes résultats scolaires me permettaient d’entrer au
Gymnasium, le lycée, et un professeur compréhensif m’a fait appeler pour me
dire : « Pour entrer au lycée, il faut faire partie des Jeunesses Hitlériennes,
puisque les Jeunesses Hitlériennes ne veulent pas de toi, tu comprends… Je suis
désolé. »
La seule chose qui me restait c’était l’apprentissage, et ça
revient cher à la famille car pendant ce
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