La bonne guerre
pratiquement plus
rien de la ville. En trois nuits, quarante et un mille personnes ont été tuées :
Ma mère et moi étions en plein dedans. Il y avait un abri dans notre rue. Dans
chaque rue, il y avait un abri où vous pouviez vous rendre en moins de cinq
minutes.
Un soir donc, vers les neuf heures, les sirènes ont commencé
à hurler. On a attrapé nos valises et on a filé. Pendant des nuits et des nuits
on était allés dans le même abri, mais ce soir-là il était plein à craquer. Il
y avait bien deux cents personnes, rien que des voisins qu’on connaissait bien.
De toute façon, dans le ciel de Hambourg, il y avait tout le temps des avions
alliés, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La nuit c’était les Anglais et le
jour les Américains.
Cette nuit-là, aux environs de minuit, on a entendu les
bombes tomber. Ç’a duré près d’une heure. À la fin de l’alerte on a essayé de sortir,
impossible. L’immeuble au-dessus de nous avait été touché par une bombe
incendiaire et était en flammes. Les murs extérieurs s’étaient écroulés et
bloquaient les sorties. Les gens s’agitaient dans tous les sens, c’était l’hystérie
la plus complète. Ils criaient : « On est emmurés. »
Vers les huit heures du matin, on a entendu des gens creuser
de l’extérieur. Ils dégageaient les murs. On était à moitié étouffés, on ne
pouvait plus respirer. Quand nous sommes sortis dans la rue nous avons
découvert que ce quartier de Hambourg où nous habitions avait été entièrement
détruit par les flammes. Avec ma mère nous sommes allés sur une passerelle du
métro aérien, c’est là que se rendaient tous les survivants, et nous avons été
transportés par camions en dehors de la ville. À cette époque, les réfugiés, et
nous étions tous devenus des réfugiés, pouvaient voyager gratuitement.
Nous sommes donc partis quelque temps vivre dans la famille
de ma mère, dans les montagnes du Harz, dans une ville proche de Nordhausen. Quand
j’étais petit, et que nous allions rendre visite à mon oncle et ma tante le
dimanche, nous faisions des promenades dans la montagne. Cette fois toute la
région était entièrement clôturée, et la police militaire luisait continuellement
des rondes avec des chiens le long de ces clôtures.
J’ai demandé à ma tante ce qui se passait, et elle m’a dit :
« Il paraît que c’est quelque chose qui a à voir avec la guerre. Ils ont
plein de prisonniers qui travaillent là-dedans. » J’ai vu passer des
camions entiers de gens terriblement maigres, en costumes rayés, qui étaient, comme
nous le savons maintenant, des prisonniers de camps de concentration. De la
fenêtre de la maison de ma tante je voyais l’entrée du tunnel.
Personne n’avait l’air d’y prêter attention. Il se passait
quelque chose, mais personne ne posait de questions. De toute façon il valait
mieux éviter d’y fourrer son nez, si on ne voulait pas risquer de se faire
trancher la tête. En fait, j’ai découvert après la guerre que c’était là que
Wernher von Braun faisait fabriquer ses V1 et ses V2 à ces travailleurs forcés.
De nombreuses années plus tard, je suis allé voir ma tante dans cette région, maintenant
en Allemagne de l’Est. Il y a un musée dans la montagne. Il y avait des fours
sur place, les gens qui n’avaient plus la force de travailler y étaient traînés
et brûlés. Je n’avais pas entendu parler de ces fours à l’époque.
Nous sommes ensuite retournés à Hambourg qui n’était plus qu’un
monceau de décombres. Pas un seul immeuble n’était intact. Nous vivions, ma
mère et moi, dans des logements provisoires installés dans une grande école. Des
milliers de sans-abri vivaient de cette manière. J’étais dans une grande salle
de classe avec un groupe de vieillards qui étaient tous férocement antinazis. Ma
mère était dans une autre aile, avec les femmes.
Deux semaines avant l’arrivée des Anglais à Hambourg, l’armée
a bloqué la rue devant l’école et a construit une gigantesque barricade
antichar, ils ont dépavé toutes les rues, et bâti un énorme-mur, soutenu par
des poutrelles d’acier.
Et puis on nous a annoncé : « Demain les Anglais
vont entrer dans la ville. » Karl Kaufmann, le gouverneur de Hambourg, qui
avait été dès le départ un des plus fervents alliés de Hitler, s’était élevé
contre les ordres du Führer et avait refusé de défendre la ville. À ce
moment-là, Berlin
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