La bonne guerre
était complètement coupé du reste de l’Allemagne. En
conséquence, grâce à cette unique bonne action, Kaufmann est maintenant très
apprécié, même si par ailleurs on ne compte plus ses mauvaises actions.
Le lendemain dans la salle de classe quelqu’un m’a réveillé :
« Hans, tes copains sont là. » J’ai regardé par la fenêtre, et de l’autre
côté de la barricade il y avait une longue file de tanks et de jeeps, et des
soldats avec de drôles de casques et un filet de camouflage autour du visage :
c’étaient les Anglais. Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela paraissait
impensable : des troupes étrangères dans cette Allemagne qui, nous le
savions tous, appartenait aux nazis. Je n’en croyais pas mes yeux.
Les nazis avaient dit aux Allemands : « Quand les
Alliés arriveront, ça sera la fin des haricots. Vous allez tous vous faire
abattre et vos femmes vont se faire violer. » À tel point que là où était
ma mère, les femmes se cachaient dans les toilettes et dans les placards. (Il
rit.) Quelqu’un a ouvert la porte et plusieurs soldats anglais sont entrés.
Il y en avait un avec une énorme moustache qui voulait savoir si quelqu’un
parlait anglais. Moi je connaissais un peu d’anglais. Alors, il m’a dit « Bon,
c’est simple, tu vas dire à tous les gens de se rassembler dans la cour. »
Je suis allé de classe en classe, et j’ai eu pas mal de
difficultés à les trouver. Ils se cachaient dans les endroits les plus
invraisemblables. (Il rit.) Certains d’entre eux étaient intimement
persuadés qu’ils allaient se faire exécuter. J’ai dû les rassurer de mon mieux,
et leur expliquer que l’officier voulait seulement les rassembler dans la cour.
En cinq à dix minutes nous étions tous dehors, entourés par les soldats. C’était
très impressionnant, mais l’officier m’a tendu une cigarette et je me suis dit
qu’il ne devait pas y avoir de danger dans l’immédiat.
Il a dit : « Dis à tous ces gens qu’il faut que
nos véhicules puissent emprunter cette rue. Dans deux heures, je veux que cette
barricade ait disparu, nous allons leur donner des pelles et des pioches, et
tout le monde devra se mettre au boulot : hommes, femmes, enfants. »
Je l’ai conduit jusqu’à une entreprise de construction, ils ont fait sauter la
serrure et rempli plusieurs camions de pelles.
J’ai présenté ma mère à l’officier, qui l’a dispensée d’aider
à dégager la barricade. Ce qui a provoqué des tensions avec mes amis allemands,
qui me considéraient comme un traître. C’était vraiment impossible de dégager
cette barricade. Il avait fallu des semaines pour l’ériger. J’étais chargé de
surveiller la progression du travail, et ils étaient furieux. Je leur ai dit :
« Écoutez, bon sang, je ne fais que vous répéter ce qu’il dit. » (Il
rit.)
Les jeunes soldats rentraient du front en masse, certains
étaient blessés, d’autres en parfaite santé. On essayait tous de gagner notre
vie comme on pouvait : pas de travail officiel, le marché noir, il n’y
avait que ça qui rapportait. Tout le monde faisait son petit trafic. Pour moi
les choses ont démarré facilement. À cause de mon physique, il m’a été très
facile d’avoir de bons rapports avec les Alliés qui, en me voyant, pensaient d’emblée
que je n’étais pas allemand. Peu de temps après, les bateaux américains sont
arrivés dans le port de Hambourg et il y avait immanquablement des Noirs dans l’équipage.
Il me suffisait de leur demander des cigarettes pour lier connaissance, après
je leur disais : « Je suis paumé moi ici, je veux aller en Amérique. »
J’étais toujours bien accueilli à cause de la couleur de ma peau. Je
réussissais même à monter à bord de ces bateaux sans me faire arrêter par la
police militaire.
C’est alors que je me suis lancé dans un programme d’apprentissage
intensif de l’anglais. Si je voulais me faire passer pour un Américain, il
fallait que je sache parler anglais, c’était pour moi le seul moyen de m’en
tirer.
Pendant la guerre j’avais perdu tout contact avec mon père. J’ai
écrit une multitude de lettres au Liberia, que j’ai données aux soldats
américains, aux Anglais ou à la Croix-Rouge. Et en 1947, j’ai reçu une énorme
lettre, avec de gros cachets indiquant : Liberia. Mon père me disait :
« Mon fils bien-aimé, quelle joie de te savoir en vie. » Et il m’envoyait
un passeport
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