La bonne guerre
qui se
trouvait juste un peu plus loin. (Il rit.) C’était vraiment bizarre. Une
grande camaraderie, une unité nationale s’étaient développées, personne n’y
échappait.
Le jour où je suis entré dans l’équipe de Fermi j’étais très
excité. J’avais un ami qui travaillait déjà avec lui et qui m’a dit :
« Tu sais ce qu’on fait ? » Je croyais qu’ils travaillaient à la
réaction en chaîne. Il m’a répondu : « Non ça on l’a déjà fait, nous
sommes en train de réaliser une bombe atomique. »
Pour une telle bombe on a besoin d’éléments fissiles, alors
qu’on n’en a pas besoin pour une réaction en chaîne. On peut tout simplement l’obtenir
à partir d’uranium. L’idée consistait donc à isoler chimiquement le plutonium
des autres éléments. Après c’était de l’alchimie : changer l’uranium en
plutonium.
Deux usines ont été construites à Oak Ridge dans le
Tennessee : une pour les chercheurs new-yorkais de la Columbia University,
sous la direction d’Harold Urey, et l’autre pour les gens de Berkeley sous la
direction de William Lawrence. Une troisième a été construite à Hanford, dans l’État
de Washington, pour le laboratoire de Chicago de Fermi.
Nous avions un emploi du temps très serré. Il nous fallait
déterminer la représentation atomique du plutonium, former les ingénieurs de
chez Du Pont, élargir nos recherches et les développer : tout ça pour obtenir
des éléments fissiles. Ensuite, cette matière serait emportée ailleurs et
utilisée pour la construction d’une bombe.
Ce n’était qu’une seule et même entreprise, très
compartimentée et très complexe : le projet Manhattan, dirigé par
le général Groves.
Nous savions qu’il s’agissait de mettre au point la plus
destructrice de toutes les bombes. Nous pensions que Hitler était très en
avance sur nous. Une idée tout à fait personnelle m’était venue à l’esprit
quelque six mois après mon entrée dans l’équipe : il devait y avoir d’autres
moyens de savoir ce que faisaient les Allemands que de s’acharner sur des
prisonniers qu’on harcelait de questions. Des méthodes techniques.
J’ai donc préparé une longue lettre très précise que j’ai
envoyée au général Groves. La même semaine, par le plus grand des hasards, il
recevait en même temps que ma lettre une lettre semblable d’un chimiste
new-yorkais. Nous ne nous étions jamais rencontrés et nous n’avions même jamais
entendu parler l’un de l’autre. Cette coïncidence a semblé plaire au général
Groves qui nous a convoqués et nous a déclaré : « Mettez donc ça sur
pied. » Et il a détaché des officiers pour travailler avec nous. Nous
avons donc élaboré un plan d’étude des services secrets allemands, qui s’est
appelé le projet Alsace. J’étais devenu un agent secret et je passais
mon temps à lire.
Nous nous sommes lancés dans une folle série d’opérations, comme
on en voit dans les livres. Je trouvais que c’était un peu du gaspillage mais
sans doute les circonstances le justifiaient-elles. On envoyait des avions dans
toutes sortes d’opérations très délicates, on expédiait des jeunes hommes
accomplir toutes sortes de missions difficiles, et ils se faisaient parfois
tuer pour bien peu de chose. On prenait des quantités de photos, très loin
derrière les lignes ennemies, à l’aide de nos avions les plus rapides. Nous
avions des photos d’une mine d’uranium en Tchécoslovaquie : était-elle
exploitée ? On comptait le nombre de camions qui y entraient et en
sortaient chaque jour.
On étudiait toute la littérature qui paraissait sur la
question, on se procurait par la Suisse toutes les revues allemandes. On
récupérait sur toutes les épaves d’avions les instruments de mesures et on en
calculait la radioactivité. Nous avons même demandé à des pilotes de survoler à
très basse altitude les rivières d’Autriche et d’Allemagne pour pouvoir laisser
traîner dans l’eau de grosses mèches de coton. Nous déterminions ensuite la
radioactivité de l’eau.
Nous étions persuadés que les Allemands étaient très en avance
sur nous. C’étaient eux nos professeurs, et ils s’étaient bien organisés pour
la guerre. Notre travail a été difficile. Impossible de se fier aux services de
renseignements, les informations sont toujours déformées. On entendait toutes
sortes d’histoires qui nous parvenaient de Suède, de Suisse, ou
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