La bonne guerre
à feu. Fermi et tous les autres
étaient là. Mais les gens directement chargés de surveiller tous les appareils
de mesure mis en place étaient répartis à travers le désert, certains dans des
abris, d’autres très à l’écart. J’avais un micro et je transmettais le compte à
rebours, j’ai annoncé : 30 secondes, 20 secondes, 10 secondes, 9, 8, 7, 6…
De nos quinze kilomètres nous avons vu cet incroyable éclat
lumineux, et ce n’était pas ce qu’il y avait de plus impressionnant. Nous
savions d’avance qu’il y aurait une lumière aveuglante et nous portions des
lunettes de soudeur. La chose qui m’a le plus frappé, ça n’a pas été cette
lumière, mais la chaleur aveuglante d’un jour radieux qui vous tombait dessus d’un
seul coup dans la fraîcheur du matin. On aurait dit qu’on avait ouvert un four
d’où s’échappait le soleil comme s’il se levait d’un seul coup. C’était un
mélange de crainte, d’émerveillement, d’effroi, de peur et de triomphe, tout ça
à la fois. Le bruit nous est parvenu une minute plus tard : un tonnerre
qui rompait un silence de mort.
Quelques jours plus tard, je me rendais de Los Alamos à la
base aérienne de Wendover dans l’Utah. C’était là qu’était stationné le 509 e groupe mixte et que se trouvaient nos avions. Je me suis rendu à Tinian avec le
noyau de la bombe, c’était là qu’étaient basés nos H 29. Ça faisait déjà
un an qu’ils bombardaient le Japon.
J’ai chargé l’avion baptisé Bock’s Car. Sur son flanc
étaient représentés deux dés, du côté des six. Il devait son nom au capitaine
Bock. C’est quelqu’un d’autre qui a chargé la bombe sur l ’Enola Gay. Le
décollage était dangereux parce qu’il n’y avait pas moyen d’en assurer la
sécurité, il fallait prendre le risque. La bombe du Bock’s Car est
tombée sur Nagasaki trois jours après celle del’ Enola Gay sur
Hiroshima.
Nous avons appris la nouvelle du lancement de la bombe sur
Hiroshima de l’équipage même de l’avion, en message codé. À leur retour nous ne
les avons pas vus, ce sont les généraux qui se sont chargés d’eux. C’est alors
que des gens ont commencé à revenir avec des photos. Je me souviens qu’en les
contemplant j’ai été saisi d’horreur et de frayeur. Nous réalisions qu’une
chose terrible venait d’être lâchée au grand jour. Les hommes ont fêté ça toute
la nuit mais nous n’y sommes pas allés. Pratiquement aucun physicien n’y est
allé. Nous venions de tuer cent mille personnes, et il n’y avait vraiment pas
de quoi pavoiser. La réalité vous confronte à des choses que vous n’aviez pas
envisagées.
Avant que je me rende à Wendover, le physicien anglais Bill
Penney avait organisé un séminaire cinq jours après l’essai de Los Alamos. Il
voulait nous montrer pratiquement à quoi ses calculs avaient abouti. Il disait
qu’une telle bombe réduirait à néant une ville de trois à quatre cent mille
habitants, ne laissant plus derrière elle qu’un cratère bon à recevoir hôpitaux,
soins et secours aux blessés. Ses chiffres étaient clairs et précis. Il disait
vrai, et nous le savions, mais nous ne voulions pas l’admettre. Seulement, après
avoir vu…
Pourquoi avoir bombardé Nagasaki ? Est-ce qu’Hiroshima
n’avait pas suffi ?
Ç’a été l’occasion d’un très grand débat. D’après le haut
commandement, c’était une seule et même chose. Deux bombes avaient été
commandées, et comme le faisait remarquer l’amiral Pernell au général Groves, si
on avait lâché une seule bombe après quatre années de guerre, les Japonais
auraient pu penser que c’était la seule que nous avions. Donc pourquoi ne pas
en larguer deux à la suite ? Ce qui les amènerait peut-être à se demander
combien de temps ça durerait. En plus ça correspondait parfaitement au projet, les
deux bombes avaient été testées, elles étaient très différentes, avaient des
mécanismes très différents, chacune avait coûté des milliards de dollars, donc
on les a utilisées toutes les deux. Quand les ordres ont été donnés, ils n’ont
pas dit : « Larguez-en une. » Ils ont dit : « Larguez-en
d’abord une, et dès que vous pourrez, larguez l’autre. »
Moi je pensais plutôt qu’un avertissement suffirait aux
Japonais. J’ai été déçu de constater que l’armée n’était pas de cet avis.
Il faut tout de même comprendre que l’US Air Force avait
déjà
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