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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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Je savais vaguement qu’il y avait la guerre quelque part, mais je n’avais
pas la moindre idée de ce que ça représentait.
    Vous n’aviez pas de radio ?
    Oh, ben non. Une radio c’était du luxe. On était fixé nulle
part, on allait là où il y avait du travail. J’avais dix huit ans et mon mari
dix-neuf. On vivait au jour le jour. Pour nous, l’important c’était de survivre,
donc tous ces grands trucs comme la guerre, on n’y pensait pas. Il ne nous
venait même pas à l’esprit qu’on fabriquait des obus pour tuer des gens. Jamais,
ça ne m’a effleurée.
    Dans notre boîte, il n’y avait pas de femme contremaître. On
était toutes du même coin, des hillbillies, on discutait, on rigolait, on
formait un petit club, quoi. On était trop contentes d’avoir du travail, on
avait enfin de l’argent pour s’acheter des chaussures et une robe, pour payer
le loyer et de quoi manger.
    Je travaillais dans le bâtiment 11. Je tirais tout un tas de
manettes sur une machine. L’obus s’avançait, la poudre tombait dedans. En
tirant sur un autre levier on la tassait. Et après, il partait sur un tapis
roulant dans un autre bâtiment où on lui mettait le détonateur. On faisait ça
toute la journée.
    Le tétryl était un des ingrédients utilisés et on était tout
orange. Mais orange comme une orange. Dans les cheveux, on avait des mèches
orange. On n’a jamais posé de questions. Il n’y en a pas une qui ait demandé « Qu’est-ce
qui nous fait ça ? C’est pas dangereux ? » Non, on n’y pensait
pas. Ça faisait partie du boulot. La seule chose qui nous dérangeait, c’est que
les autres femmes puissent penser qu’on s’était fait décolorer. À l’époque, on
se faisait drôlement regarder de travers quand on se décolorait. On attachait
beaucoup d’importance aux ragots.
    Dans le bus ça nous faisait rire. À la longue, la couleur
disparaissait. Mais il me semble me souvenir qu’il y avait des femmes qui
avaient des problèmes respiratoires. Les obus étaient peints en gris foncé. Quand
la couche de peinture n’était pas assez lisse, il fallait qu’on l’enlève avec
un solvant quelconque et des vieux chiffons. Il se dégageait de ces vapeurs de
ces chiffons ! On aurait dit qu’on respirait du détachant. Ça vous brûlait
le nez et la gorge. Oui, c’est vrai, je me souviens qu’on avait du mal à
respirer.
    Il n’y a jamais eu la moindre explosion mais je me souviens
de l’atelier où on mettait les détonateurs. C’étaient des espèces de petits
machins noirs pas plus gros que le pouce. Un jour, il y a eu un orage terrible
et l’électricité a sauté. Une des filles a renversé une boîte de détonateurs
par terre. Nous, on était là dans l’obscurité la plus complète et quelqu’un s’est
mis à hurler : « Que personne ne bouge ! » Ils avaient peur
qu’on marche sur un détonateur. Et on était toutes là, à quatre pattes, à
essayer de sortir de l’atelier. (Elle rit.) On faisait doucement. N’empêche
que si c’était arrivé…
    Maman avait été licenciée, comme ils disaient, virée quoi !
Sa mère était tombée malade, et elle était morte. Maman avait demandé un congé
et ils le lui avaient refusé. Maman a dit : « Bon, parfait, si je
perds mon emploi, tant pis, mais moi je dois être auprès de ma mère. »
Alors ils l’ont licenciée. C’est à partir de là que j’ai commencé à devenir
désagréable. Je ne gobais plus aussi facilement tout ce qu’on racontait et je n’encaissais
plus les vacheries comme avant. Je leur ai dit que je n’allais pas rester, et
ils m’ont dit que si je les quittais, ils me feraient un rapport qui me
suivrait partout. Qu’ils avaient mes empreintes digitales et tout ça. Je suis
sûre qu’ils faisaient de l’esbroufe, parce qu’en fait j’ai retrouvé du travail.
    On ne savait vraiment pas grand-chose des droits de l’homme,
ni des droits syndicaux. On savait que papa avait fait parler de lui dans le
syndicat des mineurs, mais jusque-là ça n’avait pas encore déteint sur nous les
femmes. Dans tous les ateliers on pouvait boire du Coca ou du Dr. Pepper, mais
pas d’eau. Il n’y a qu’à la cafétéria qu’on pouvait avoir de l’eau, et elle
était à l’autre bout de l’usine. Et comme de bien entendu, on n’avait pas le
droit de s’absenter assez longtemps pour pouvoir y aller. Alors je buvais du
Coca et du Dr. Pepper, et j’avais horreur de ça. J’ai toujours horreur de

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