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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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et si des gens du
camp en ont souffert.
    Un ou deux jours après, la guerre était terminée. (Il
soupire profondément.) On en avait souvent parlé, on s’était demandé ce qu’on
ferait une fois que la guerre serait finie. « Moi, je vais te choper ce
salaud de Fuji-san qui m’a si souvent tabassé, et je vais lui arracher les
ongles des pieds », ou « Tiens, moi, je vais lui faire ci », ou « Je
vais lui faire ça ». C’était pour tout le monde pareil. (Il pleure et
rit à moitié.)
    Ils nous ont tous fait sortir et mettre en rangs sur le
terrain de manœuvres. Environ mille Américains, des Hollandais, des Australiens
et des Anglais. Le commandant du camp est monté sur son estrade, et l’interprète (il pleure sans bruit et soupire) nous a dit : « Maintenant, débrouillez-vous
tout seuls. » (Il chuchote presque.) Il nous a dit que la guerre
était finie, il a fait demi-tour et il est parti. Au milieu de ces mille neuf
cents hommes on aurait entendu une mouche voler. Personne ne bronchait. Finalement,
quelques types ont fait demi-tour et… (Il pleure. Après un long moment.) Ils
sont retournés dans les baraquements. Personne ne disait un traître mot. Il y
avait un silence de plomb. On n’entendait que le bruit des pas. Je suis allé
derrière les premiers bâtiments que j’ai trouvés et j’ai chialé comme un môme.
    Il a bien fallu deux heures avant que les gars réagissent. Ils
se sont mis à hurler et à se donner des grandes tapes dans le dos. La veille, les
Japonais nous avaient distribué des colis de la Croix-Rouge avec de la
nourriture américaine. Ça faisait deux ans qu’ils les avaient au camp, et ils
ne nous en avaient jamais donné un. Ils avaient des tonnes de vivres que les
bateaux de la Croix-Rouge avaient apportées. Ils avaient aussi plein de
médicaments, et pendant ce temps-là nos médecins amputaient des jambes sans
anesthésie.
    Les Japs sont partis. Tous. Il n’y avait plus que nous dans
le camp. On ne savait ni quoi faire ni où aller. On avait pris la radio, et on
la laissait branchée tout le temps. Finalement on a réussi à capter les
Américains : « À tous les prisonniers américains, à tous les
prisonniers de guerre. Restez où vous êtes. Nous envoyons des avions de
reconnaissance. Ecrivez en gros POW avec des draps, de la peinture, ou n’importe
quoi sur les casernes ou sur les terrains de manœuvres. »
    Les B29 nous ont trouvés et nous ont largué des vivres. Ils
nous oui indiqué qu’il y avait une base aérienne au sud de l’île où ils
apportaient du ravitaillement depuis Okinawa, puis ils sont repartis. On a
réquisitionné le premier train qu’on a pu, on était environ un millier. On a
trouvé la base en question. Et ils ont commencé à nous évacuer sur Okinawa, et
de là sur les Philippines.
    Il n’y avait qu’un seul sujet de conversation. « Qu’est-ce
que tu vas faire ? Où est-ce que tu vas aller manger quand tu rentreras ? »
Tout le monde allait à Frisco. Ils voulaient tous aller au Fisherman’s Wharf
pour manger des huîtres frites ou une énorme entrecôte.
    Pendant tout le temps qu’on est restés au camp, on n’a
jamais parlé de femmes. Personne ne parlait de ça, jamais d’histoires de cul. La
seule chose dont on parlait, c’était de ce qu’on aurait aimé manger. Les types
racontaient comment leur mère préparait tel ou tel plat. Les autres écoutaient
religieusement. Ça a toujours été le grand sujet de conversation.
    Je me souviens parfaitement d’un vieux Polack. On lui
demandait toujours de nous raconter comment sa mère préparait les pâtés au chou,
les golabki. Il le faisait avec une telle conviction qu’on les sentait. Il nous
racontait que quand il était petit, il savait en rentrant de l’école ce qu’il
allait avoir à dîner. Quand sa mère faisait des golabki, il les sentait depuis
le coin de la rue. Ils s’excitaient tous en l’écoutant. Il y en avait qui se
pourléchaient les babines. Comme s’ils les goûtaient, vous comprenez ?
    Je suis rentré chez moi. C’était enfin terminé. J’aurais
aimé tout oublier. Je n’avais rien contre les Japonais, mais je n’ai pas de
Toyota, ni de Sony.
    En 1967, j’étais instructeur civil à la base aérienne de
Chanute. Ils m’ont envoyé dans le Pacifique pour former les hommes. C’était
pendant la guerre du Viêt-Nam. Je suis retourné aux Philippines. Je suis allé à
Ben Hua au Viêt-Nam, en Thaïlande aussi, et j’ai

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