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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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franchement je ne crois pas que les gens auraient
accepté de se retrouver dans la même situation que pendant la Crise. De se
priver de choses auxquelles ils s’étaient habitués. Matériellement, on vit
mille fois mieux. Mais la guerre m’a détournée de la religion. J’avais été
élevée selon une doctrine fondamentaliste. On m’avait appris que je n’étais
rien. Si Dieu m’a créée, si Dieu a envoyé sur terre son fils pour me sauver, c’est
que je suis quelque chose. Ma mère est morte persuadée qu’elle n’était rien. Je
me demande comment les aumôniers peuvent bien s’appeler des hommes de Dieu, et
préparer des types à aller se battre. Si on dit dans la Bible « Tu ne
tueras point », on ne dit pas « Sauf à la guerre ». Ils vont
condamner à la chaise électrique un gars qui a assassiné quelqu’un dans un
moment de démence, mais ils vont décorer nos soldats. Et plus ils en auront tué
plus ils auront de médailles.
    Quand la guerre a été finie, j’étais vraiment aux anges, j’avais
tellement envie de retrouver mon mari. Je ne comprenais pas tout ce que ça
allait entraîner, sauf que c’était fini, c’était tout. Et ça fait rudement
plaisir de savoir ça, toute politique mise à part. (Elle rit.) Si
seulement ç’avait été pour toujours.

Le quartier

Paul Pisicano
    Il est architecte, il habite Manhattan. Il a cinquante-deux
ans et il est « sicilien à cent pour cent ».
    J’habitais dans un quartier italien de New York. Nous étions
tout un groupe à commencer à nous intégrer au système. Nous parlions italien à
la maison. Enfin, un dialecte que nous prenions pour de l’italien mais qui
était de l’italo-new-yorkais.
    Mussolini était notre héros – un super-héros même. Grâce à
lui, on se sentait différents, surtout nous, ceux du Sud, les Siciliens et les
Calabrais. Je me souviens de la guerre d’Éthiopie en 1935. J’avais cinq ans. Les
gens trouvaient que c’était une très bonne chose. Nous avions l’équivalent des
comités de soutien aux équipes de football. Ç’a été une grande victoire pour
nous. On n’a jamais vraiment critiqué Mussolini. Il était apprécié. Ensuite il
a envahi la Grèce. Il ne s’en tirait d’ailleurs pas trop bien (il rit) et
il a même fallu que les Allemands lui donnent un coup de main. Vous vous
souvenez ? Ça nous a beaucoup déçus.
    Il y avait nous et les autres. Deux blocs opposés. Nous n’avions
pas le sentiment d’appartenir à une seule et même nation, comme les Israéliens
par exemple. Nous n’étions jamais à l’aise avec les Italiens du Nord. Nous
étions leurs Palestiniens. (Il rit.)
    C’était très pénible de vivre en Amérique. On ne voulait pas
parler de la guerre. Avant Pearl Harbor on essayait de ne pas amener les
conversations sur l’Italie. Nous étions très déçus de ses performances
militaires. On ne peut pas dire qu’ils étaient des héros. Leur éducation avait
fait d’eux des connards de machos. Nos héros c’étaient Joe DiMaggio et Phil
Rizzuto. Quand les Yankees ont remporté la coupe de base-ball en 41, c’étaient
nos vedettes. Rizzuto avait remplacé Crosetti, je veux dire par là qu’il y
avait toujours un Italien en bonne place dans l’équipe. Nos héros c’étaient les
Italiens des Yankees. Les Cubs ont finalement engagé Cavaretta et Dallessandro,
mais ils ne comptaient pas.
    On allait au cinéma une fois par semaine et chaque fois on
voyait des Italiens se rendre aux Anglais, que ça. Vous vous souvenez de l’Afrique ? (Il rit.) C’était terrible. Vous grandissez, persuadé que vous allez
devenir aussi fort que King Kong, et du jour au lendemain tous les types qui
vous ressemblent s’enfuient les bras en l’air. J’avais dix-onze ans, j’étais
très impressionnable et je découvrais que les Italiens étaient des tartes.
    La capitulation s’est faite très tôt. Alors tout le quartier
n’était plus pour Mussolini sans être vraiment contre. Mais s’il s’en allait ça
serait bien. Nous étions contre Hitler et ça n’était pas difficile d’être
contre les Japonais, mais on avait encore du mal à être contre les Italiens.
    Il y a eu très peu de combats entre Italiens et Américains. Nous
nous étions entendus avec la Mafia en Sicile. Charlie Poletti, l’adjoint à
notre gouverneur, est devenu gouverneur militaire américain de Sicile. Et
toutes les troupes italiennes ont aussitôt disparu ; ils sont tous rentrés
chez eux.

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