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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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m’a jamais dit ce qui s’était réellement
passé quand mon père est finalement entré dans l’armée en 1943, malgré des
origines en partie juives. Il y a toujours eu cette zone d’ombre qu’on m’a
soigneusement cachée.
    Je n’oublierai jamais la fois où je suis retournée chez moi
en 1962. Mon père et ma belle-mère étaient partis en montagne. Il approchait de
la soixantaine à l’époque. Je lui ai dit que j’avais un petit ami avec qui je m’entendais
très bien. Je lui ai dit son nom. Ma belle-mère a dit : « C’est un
nom juif. » Mon père a tourné la tête et a dit « Chut ». On
était à trois mille mètres d’altitude. Personne d’autre aux alentours que deux
pauvres vieux qui se promenaient dans la vallée en dessous. Je ne l’ai jamais
oublié. « Chut. » 1962. J’avais honte pour lui, pour sa lâcheté, j’étais
triste pour lui.
    Je crois que nous sommes en train de parler d’innocence, hein ?
Après avoir vu cette grenade mutiler tant de personnes, même si on ne m’a pas
autorisée à regarder, pour moi le sens de la vie a changé. Plus d’hésitations. Une
semaine plus tard, j’étais sur les genoux des Russes à boire de la bière. Nous
avons toujours à la maison la petite canette d’aluminium dans laquelle j’ai bu
ma première bière. Ils m’ont laissé le souvenir de gens gentils et généreux. Tout
ça en moins d’une semaine.

Jean Wood
    Londonienne aux allures de matrone, elle est venue rendre
visite à sa fille qui travaille à New York.
    J’étais danseuse et je commençais à me produire sur les
scènes. J’étais mariée et j’avais une petite fille. Ma mère s’occupait d’elle, donc
j’étais libre et je profitais de la vie. J’avais vingt-cinq ans.Cette guerre a arrêté le cours normal de ma vie jusqu’à ce
que j’aie trente-cinq ans.
    Bien que la guerre proprement dite n’ait duré que six ans, le
rationnement s’est poursuivi après, il a fallu continuer à se serrer la
ceinture, et on n’avait pas toujours non plus de quoi se loger. Mon mari était
dans la Royal Artillery. Il a été blessé. Ça n’a plus jamais été le même homme.
Il est mort quelques années plus tard des séquelles de ses blessures. Je touche
une toute petite pension de veuve.
    Au plus fort du Blitz, j’étais sur le point d’accoucher.
C’était en 1940. Il y avait eu un temps mort entre 1939 et l’été 1940. Quand la
guerre a éclaté je me produisais dans une station balnéaire. Ballet classique. Je
me souviens que j’ai regardé la Manche en me demandant comment les gens
pouvaient faire la guerre et s’entre-tuer alors qu’il faisait si beau. J’avais
l’impression de rêver.
    Ce qui n’était pas un rêve c’est que les gens abandonnaient
leur travail et se bousculaient au bureau de recrutement. Il n’y avait plus de
vendeurs dans les magasins et les banques étaient fermées. J’avais laissé ma
petite fille chez ma mère. J’ai dit à mon mari : « Pour l’amour du
Ciel, ne laissons pas notre fille à Londres. » Nous l’avons donc récupérée.
Le gouvernement demandait aux parents qui étaient en dehors de Londres avec
leurs enfants d’y rester, parce que leur présence dans la capitale serait plus
gênante qu’autre chose.
    Je suis retournée sur la côte. Ils avaient dit qu’il y aurait
une période d’accalmie. Ils nous payaient pour qu’on parte. Ils nous
installaient dans des familles. La femme chez qui j’habitais était atroce. Je
ne pouvais même pas prendre une bouilloire d’eau. Elle ne me laissait pas
repasser les affaires de mon bébé. Elle ne voulait pas que je rentre la
poussette dans la maison quand il pleuvait. Elle disait : « Dehors. La
poussette reste dehors. » J’étais obligée de mettre mon enfant dans une
poussette mouillée.
    Le jour de la déclaration de guerre les sirènes se sont
mises à hurler. Les gens se sont cachés dans les endroits les plus
invraisemblables. Ils s’imaginaient que la Luftwaffe arrivait. (Elle rit.) Ils
se sentaient ridicules quand il y avait une fausse alerte. Mon Dieu, de quoi on
va avoir l’air ? On ne va pas se jeter à plat ventre par terre à chaque
instant.
    Mon mari m’a dit : « je vais aller dans la ville
la plus proche, et je vais acheter une maison avec l’argent qu’on a. Comme ça, au
moins, tu seras tranquille chez toi. » En y allant, il en a profité pour s’engager.
Il n’était pas du tout obligé. Il avait trente-quatre ans, et à

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