La bonne guerre
ce
qui fait que vous n’aviez pas encore pu descendre dans l’abri. Ils lançaient
des mines fixées à des parachutes, et quand elles touchaient le sol la rue
était entièrement rasée. Il ne restait plus rien, comme après une pluie de
bombes. L’avion descendait très bas pour lâcher les bombes incendiaires, il en
larguait sur tout son parcours. Il dessinait des zigzags effrayants au-dessus
de toute la surface visée, comme s’il faisait des sauts et des bonds de droite
à gauche. Après son passage les gens se précipitaient tous pour récupérer le
parachute, parce qu’avec ce parachute on pouvait se faire des vêtements. Les
restrictions sur l’habillement étaient très strictes. Mon mari avait réussi à
me trouver un morceau de toile de parachute, et j’avais fait des petites robes
à mes filles avec ce bout de nylon.
Il poussait beaucoup de fleurs sur les zones bombardées, une
certaine variété plus particulièrement. Elle avait une tige couverte de petits
points rouges. Elle ressemblait plutôt à une herbe, à vrai dire. On l’appelait « fierté
de Londres ».
Puis il y a eu le Blitz, Londres était la proie des
flammes, sauf Saint-Paul, Dieu merci. C’est pour ça qu’à chaque fois que je
vais à Saint-Paul je dis : « Ah, tu es encore là, merci mon Dieu. »
Tout brûlait cette nuit-là. Avec les flammes on se serait cru en plein jour.
J’ai vu des enfants se faire tuer un samedi matin. Pas d’alerte.
C’était comme ça quand ils envoyaient les V2. On aurait dit des espèces de
grands poteaux télégraphiques qui traversaient l’espace. Pas de pilote, rien. Ils
tombaient sur un immeuble et détruisaient la rue entière. Ce matin-là il y
avait des gosses qui faisaient des courses chez Woolworth. On ne pouvait pas
acheter grand-chose. Même pour acheter des bonbons, il fallait des tickets. La
maison de ma mère était deux pâtés de maisons plus loin, et on a entendu une
terrible explosion. On a tous couru voir. Il était tombé sur le Woolworth, et
des gens dégageaient les corps de tous ces gosses. Ils disaient qu’ils allaient
les enterrer. Il était impossible de savoir à qui appartenaient les bras et les
jambes. On avait des cercueils en carton. On en a fait des quantités, mais il n’y
en avait jamais assez. On avait eu aussi les V1. C’étaient des avions qui
arrivaient en crachant du feu. On a été surpris quand le premier est tombé – sur
des quartiers ouvriers, bien entendu. Le feu faisait tchaaaf, tchaaaf. Quand
ils cessaient de cracher du feu, ils se mettaient à tournoyer. On aurait
presque pu dire précisément où il allait s’écraser. On a tous couru voir. Quand
est-ce que le pilote va sauter ? Mais il n’y avait pas de pilote.
Après ça on a eu une période d’accalmie jusqu’à la monstruosité
suivante : les V2. On ne savait pas quand ils arrivaient. Avec les V1, au
moins, on entendait une espèce de broouumm, à cause du feu. On voyait le feu
aussi. Si la guerre avait duré dix jours de plus ils auraient peut-être eu la
bombe atomique. Tous ces engins en étaient le prélude. Le Blitz a débuté
en 1940, quand les Français nous ont laissé tomber à Dunkerque, et il a duré
jusqu’au débarquement.
On avait aussi des bombes sauteuses. Ils larguaient une
bombe quelque part et elle n’y restait pas. Elle rebondissait un peu plus loin
sur un immeuble.
Il y avait une très grande fraternité. Les gens se
retrouvaient dans les abris avec leurs couvertures et leurs réserves de bonnes
choses à manger ou leurs rations. Je ne connais pas d’exemple de quelqu’un qui
ait cherché à profiter de la situation. Même pour les toilettes, ils essayaient
de suspendre un petit rideau ou quelque chose. C’était toujours : « Après
vous, ma chère. – Je vous en prie, je n’en ferai rien. » Les gens étaient
devenus terriblement polis.
Comme j’étais danseuse et chanteuse, je me suis installée
dans une maison vide avec tout mon petit groupe d’évacuées. Elles étaient très
très pauvres. Elles n’avaient même pas le minimum vital. Elles ne savaient plus
ni vers où ni vers qui se tourner. Leurs maris étaient à la guerre. Dieu seul
savait s’ils étaient morts ou pas. Je leur ai donc dit : « Allez les
filles, on s’y met toutes, et on nettoie la maison. » On s’est débrouillées
pour trouver un vieux piano par l’intermédiaire de riches ladies. Je
jouais des chansons, et elles chantaient toutes ensemble
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