La bonne guerre
un
copain de classe dans un bar. Il m’a dit : « Viens donc demain avec
moi, on va s’offrir une virée. On a un petit vol de prévu. » Je n’avais
pas la moindre idée de leur destination. Parce que j’étais tout le temps soûl. On
a fait la fête toute la nuit. Le lendemain on leur a donné les instructions, et
il m’a fait monter en cachette sur son avion. J’ai appris qu’il faisait un raid
sur Francfort. Je n’avais encore jamais rien bombardé. Son copilote avait la
gueule de bois et c’est moi qui ai pris les commandes de droite. Je me suis
donc retrouvé copilote de bombardier.
C’était la première fois que je montais dans un bombardier. On
a mis le paquet sur Francfort.
Des années plus tard, je suis allé à Francfort pour mon
travail. Un soir, je me promenais sur l’Opernplatz. Il y avait du brouillard et
un peu de vent. Je me suis soudain retrouvé sous le vent de l’Opéra qui avait
été détruit par les bombes incendiaires. Je sentais encore l’odeur de brûlé. C’était
tout à fait étrange, une sensation désagréable. À mon retour, j’ai décrit à
Ursula (il lui fait un petit signe de tête) ce sentiment bizarre que j’avais
éprouvé. Elle m’a dit qu’elle était là-bas cette nuit-là. J’avais bombardé
quelqu’un qui allait devenir une amie. Seulement ce qu’elle ignorait jusqu’à
maintenant c’était que tout était ravagé dans ma tête tellement j’étais soûl.
Vous n’avez jamais senti cette odeur quand il y a eu un
incendie que les pompiers viennent juste d’éteindre près de chez vous ? Cette
odeur. À peine perceptible, et pourtant présente.
Ursula : Je
n’oublierai jamais ça. Cet incroyable souvenir marque le début de la guerre
pour moi. Il ne m’a jamais quittée. J’avais cinq ans. J’étais assise sur les
toilettes du palier.
Rüsselsheim, juste à côté de Francfort. C’était une ville
industrielle. Ils y fabriquaient des avions à l’époque, c’était donc un
bombardement stratégique. Les sirènes se sont mises à hurler. J’étais seule
avec ma mère à la maison. Ma sœur avait été évacuée à la campagne.
Je me suis levée des toilettes, et sans prendre le temps de
remonter ma culotte j’ai couru à la cave. Après, la seule chose dont je me
souvienne c’est que je me suis endormie. Quand je me suis réveillée il n’y
avait plus personne. Ma mère avait disparu. J’ai commencé à errer dans le
quartier. Tout était en flammes. L’odeur de brûlé est un des souvenirs les plus
marquants que j’ai gardés de la guerre. C’est cette odeur de mortier, de
briques et de ciment qui ont été chauffés et qui se sont refroidis. À partir du
moment où nous nous sommes installés dans cette ville où on fabriquait des pièces
d’avions, nous avons constamment été bombardés.
J’ai retrouvé ma mère au milieu de femmes qui faisaient la
chaîne pour se passer des seaux d’eau. Il n’y avait pas d’hommes. Il n’y avait que
des femmes et des vieillards, tout le quartier avait été détruit.
En 44, j’avais six ans. On était debout, dehors, dans les
jardins, à regarder les avions passer. Je me souviens que je faisais des grands
signes aux pilotes américains. Ils passaient très bas pour échapper à la DCA. Ils
volaient tellement bas qu’ils touchaient presque les toits des villages. Je ne
peux pas vous dire pourquoi nous n’avions pas peur. La première fois que je
suis allée au théâtre c’était dans un blockhaus. C’était une autre façon de
vivre. Vous aviez votre petite place dans le blockhaus, vous aviez vos poupées.
Vous pouviez vous y rendre très rapidement. Ce n’était pas aussi effrayant que
pour les adultes. Un enfant de six ans perçoit les choses très différemment. C’était
excitant, c’était un peu l’aventure. Vous partagiez la vie de vos voisins, de
vos amis. Il y avait les endroits où vous jouiez.
Nous avons habité en Rhénanie pendant un an. Puis nous
sommes partis dans ce qui est maintenant l’Allemagne de l’Est, jusqu’à la fin
45. Nous étions avec les Russes quand la guerre s’est terminée. Je me revois
assise sur les genoux d’un général soviétique qui me donnait de la bière. Nous
étions dans une région où les Allemands avaient battu en retraite, ils
mettaient le feu partout et disaient : « Emportez tout ce que vous
pouvez prendre. » Les civils avaient le droit de piller autant qu’ils
pouvaient. C’est ce que faisaient les femmes les
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