La bonne guerre
ce moment-là
ils n’appelaient pas encore ces classes-là. Il m’a dit : « C’est
aussi bien que je parte tout de suite, et qu’on n’en parle plus. » Il a
donc fallu que je reste avec cette abominable bonne femme. Il est parti, et il
m’a laissée.
La guerre a démarré avec le Blitz. En octobre. Ils
ont commencé par bombarder deux écoles en plein jour. Tous les gosses y sont
passés. On n’en croyait pas nos oreilles. C’était à Croydon.
Sur la côte, c’était pire qu’à Londres. Pendant le temps que
je suis restée là-bas on a vu 109 combats aériens. Pendant la bataille d’Angleterre
j’ai vu nos gars tomber en vrille. Je les ai également vus faire des tours d’honneur
quand ils abattaient un avion allemand. Ils étaient jour et nuit dans leurs
Spitfire en formation serrée comme s’ils avaient été collés avec du chewing-gum.
Une de mes voisines avait deux de ses fils dans ces avions. Elle vivait dans la
peur et dans l’angoisse. Nous habitions près du terrain d’aviation des Spitfire
et nous subissions de terribles bombardements. Voilà l’endroit où nous étions
censés être en sécurité.
Un jour j’ai emmené ma petite fille avec moi faire des
courses dans la petite rue principale. Un avion allemand est passé en
rase-mottes et a commencé à nous mitrailler. Je me suis précipitée dans un
magasin, et je me suis jetée avec elle sous le comptoir. J’avais les fesses qui
ressortaient. (Elle rit.) La mitrailleuse y est allée tout le long de la
rue, takatakatak !
Il y avait des abris souterrains. On devait pouvoir y faire
entrer environ deux cents personnes. On pouvait s’y cacher en vitesse dès qu’il
y avait un raid aérien. Mais il n’y avait jamais d’alerte en cas de combats
aériens. On voyait les avions quand ils étaient au-dessus de nos têtes et qu’ils
se mettaient à descendre et à mitrailler. C’étaient presque tous des
bombardiers, et nos Spitfire leur faisaient la chasse.
On avait aussi nos abris personnels, mis en place par le
gouvernement. À la campagne c’était une table d’acier. On l’installait dans la
chambre ou dans le living-room. On se mettait tous à quatre pattes dessous. Elle
n’était pas très haute, et pour ceux qui étaient un peu forts c’était pénible
de se glisser dessous. (Elle rit.) D’autant qu’on y restait des heures.
Ceux qui habitaient les grandes villes, comme Londres ou
Manchester, avaient un abri dans leur jardin. Je ne sais pas lequel des deux
était le pire. Ceux des jardins étaient en béton ou en vieille ferraille, et
très humides. Ils étaient toujours pleins d’eau. La plupart des ouvriers
avaient une telle force morale qu’ils réussissaient à transformer leurs abris
en petits living-rooms assez confortables. (Elle rit.) Ils emmenaient
leurs oiseaux ou leur chat avec eux. Le chat était toujours le dernier. « Tu
n’as pas vu le chat ? »
J’ai une tante qui s’est fait tuer en remontant préparer du
thé. Les sirènes venaient de sonner la fin de l’alerte. (Elle imite le bruit.) Elle est remontée, elle a dit à son mari : « Je vais aller faire
une bonne tasse de thé bien chaud. » Ils avaient passé toute la nuit dans
l’abri à écouter les bombardements et à entendre les avions s’écraser. Elle a
posé sa bouilloire sur le feu, et à ce moment-là une bombe est tombée en plein
sur la maison.
Je ne parle pas des meubles des voisins qui étaient projetés
chez vous par les fenêtres. On a récupéré plein de meubles qui n’étaient pas à
nous, comme ça. On s’est retrouvés avec toutes sortes de trucs. Comme la
plupart des gens. J’avais une vieille tante de quatre-vingts ans qui s’est
retrouvée avec une coiffeuse de star de cinéma. Je me demande encore comment
tous ces superbes meubles ont atterri dans son jardin. (Elle rit.)
On avait des chefs d’îlot qui étaient vraiment très bien. C’étaient
des hommes qui soit n’étaient pas mobilisables, soit occupaient des postes clés,
et qui en dehors de leurs heures de travail devenaient chefs d’îlot. Ils nous
aidaient. Ils dégageaient les morts. Une fois mon mari est venu en permission, et
il est passé par Londres. Il est arrivé avec plusieurs jours de retard parce qu’il
s’est arrêté pour aider à dégager les morts des immeubles. C’était horrible.
J’ai eu quatre filles, toutes nées pendant la guerre, sauf
la première. On n’avait pas d’ambulances, et pour un des accouchements, il
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