La bonne guerre
a
fallu que je sorte en plein Blitz, au milieu des incendies, pour essayer
de trouver un téléphone pour appeler mon médecin. Il a envoyé deux hommes avec
une camionnette. Je me suis allongée à l’arrière sur une planche. Ils roulaient
tous feux éteints, au cas où les Allemands arriveraient. Ces deux hommes
étaient si peu dégourdis que j’ai failli accoucher dans la camionnette. Ils
sont tombés dans un cratère de bombe et je suis presque passée par-dessus bord.
Mais on apprenait à vivre avec tout ça. C’était comme si les choses allaient
continuer comme ça jusqu’à la fin de vos jours.
Après la naissance de mon troisième bébé, chez moi, je me
disais : « Mon Dieu, je vous en prie, si vous devez nous faire mourir
sous ces bombes, faites-nous mourir maintenant, une nuit, toutes ensemble. »
On ne savait pas combien prendre d’enfants sous son aile pour les protéger
comme les oiseaux. Je me disais que si j’en prenais deux près de moi et que je
laissais la troisième plus loin elle pourrait se faire tuer, et que je me
retrouverais avec ces deux-là. En somme, il fallait pratiquement se coucher sur
elles pour être sûre d’y passer toutes ensemble. Je ne m’étais jamais rendu
compte que j’avais cet instinct en moi.
J’ai toujours pensé que je ne serais jamais capable de
rester assise à lire une histoire aux enfants, comme Cendrillon , par
exemple, quand on entendait les avions allemands arriver. Certaines nuits il en
venait plus d’un millier, par vagues successives. On avait une petite
expression qui imitait le bruit des avions : « Je t’aurai, je t’aurai » (Elle le dit d’un ton saccadé.) Vous entendiez la bombe tomber à quelques
centaines de mètres. Et vous vous disiez : « Celle-là nous a ratés. »
Vous pensiez : « Mon Dieu, la prochaine est pour nous. » Mais
vous continuiez à lire : « Et la méchante sœur dit » – et vous, vous
disiez : « Ne t’énerve pas ma chérie. » Et vous pensiez :
« Mon Dieu, je n’en peux plus. » Mais vous teniez le coup. Et je n’étais
pas tout ce qu’il y a de plus courageuse, croyez-moi.
On devenait superstitieux. Vers trois heures et demie je me
disais : « Je ne peux pas dormir là ce soir, je vais toutes les
mettre ailleurs, parce que j’ai le pressentiment que cette partie du mur va s’écrouler. »
Ou alors les quelques voisins qui restaient vous disaient : « Pourquoi
est-ce que vous n’amèneriez pas les gosses à la maison ce soir pour qu’on
chante tous ensemble et qu’on joue aux cartes ? Allez, ce soir on fait
comme si les Fritz n’existaient pas. » Alors, de quel côté de la rue
est-ce qu’on serait le moins en danger ? Bon, on y va.
J’étais de piquet d’incendie. Et c’est impressionnant. Vous
montiez sur les toits avec un casque d’acier sur la tête. Vous étiez également
censé porter une veste de protection. Les bombes incendiaires avaient la taille
d’un petit ballon. Elles tombaient sur les toits et le feu prenait aussitôt. Alors
le gouvernement vous donnait un seau de sable et une pelle. Charmant. (Elle
rit.) Vous restiez là jusqu’à ce que la bombe tombe. Et il fallait se
dépêcher de la ramasser avec la pelle et de la mettre dans le seau de sable. Je
n’ai pas fait ça pendant très longtemps parce que j’ai de nouveau été enceinte.
La plupart des bombes étaient pour les quartiers ouvriers. Je
sais bien qu’on a fait toute une histoire de la bombe qui est tombée sur
Buckingham, mais ils étaient tous dans un magnifique abri. Si les ouvriers ont
tant dégusté, c’est à cause de la proximité des docks. Et des gazomètres, et
des centrales électriques. C’était ça qu’ils visaient. Ils pensaient qu’en
sapant le moral de la classe ouvrière, elle ne voudrait plus continuer la
guerre. En fait c’est pas du tout ce qui s’est passé.
Une de mes tantes s’est fait bombarder trois fois. Ma
grand-mère qui avait plus de quatre-vingts ans a reçu une bombe chez elle, et
elle s’est retrouvée coincée dans les escaliers, avec les cheveux en feu. Ce
sont les chefs d’îlot qui l’ont dégagée. Elle a dit : « Il faut que
je retourne à la maison chercher mon chapeau. » Ils l’ont mise dans un
camion avec d’autres personnes âgées pour les évacuer dans une zone plus
tranquille.
Une fois j’ai dû séjourner chez ma belle-mère. Parfois les
raids commençaient avant que les sirènes n’aient eu le temps de démarrer,
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