La bonne guerre
de la même
façon qu’un type de Dallas porte des bottes et un chapeau de cow-boy. Ce sont
des types qui portent des surnoms, qui vous font marcher, se foutent de votre
gueule, et essaient de vous couillonner, parfaitement méprisables. S’ils
étaient américains, ils chiqueraient et pendraient les Noirs.
Mon fils a une petite amie qui s’appelle Aki Yoshimura. La
première fois que j’ai rencontré son père, Monsieur Jap – mon fils devient
dingue quand il m’entend appeler des Japonais Japs –, j’étais très mal à l’aise,
parce qu’il était sur des avions dans le Pacifique pendant la seconde guerre
mondiale. Avant de le rencontrer j’éprouvais envers eux la même chose qu’envers
les Bavarois. Un terrible malaise. (Il rit.) Mais l’amitié et l’intimité
changent beaucoup de choses.
Je peux repenser à la seconde guerre mondiale en idéalisant
complètement tout ce que j’ai vécu parce qu’il n’y a personne derrière moi pour
me rappeler que je me suis comporté comme un salaud. Ce que mes chefs m’ordonnaient
de faire était bien. Et je ne remettais jamais leurs ordres en question, pour
la bonne raison que je n’en savais pas plus qu’eux. J’obéissais, un point c’est
tout.
Les guerres justes ça n’existe pas. Tout est faussé. J’ai
entendu récemment un représentant du gouvernement dire en plaisantant :
« Avec la crise économique que nous traversons, ce qu’il nous faut c’est
une bonne guerre. C’est ce qui nous a fait sortir de la Dépression. »
Ursula : Toutes
ces choses avec lesquelles il fallait vivre. Le mot « juif » n’était
jamais prononcé. La première fois que j’ai entendu parler de camps de
concentration c’est quand je suis tombée sur un livre qui s’appelait L’Étoile
jaune. J’avais vingt et un ans, j’étais toute seule dans ma chambre. Je n’oublierai
jamais. Je fais partie de cette génération qui a grandi dans le silence. N’oubliez
pas que l’Allemagne n’a commencé à parler de ces choses que dans les années
soixante. Je me souviens d’être allée en Angleterre chez des gens d’un niveau
intellectuel assez élevé. Ils ne voulaient pas croire que j’ignorais tant de
choses.
Mes parents n’ont jamais essayé de m’expliquer quoi que ce
soit. Ma mère est morte quand j’avais douze ans. Ma belle-mère ne savait rien
de l’histoire de notre famille. Mon père en souffrait trop et ne voulait pas en
parler. Ma sœur ne savait rien. Alors quand j’ai ouvert L’Etoile jaune, un
recueil de photos prises par les Américains dans les camps de concentration, ça
m’a clouée sur place. Mon Dieu, mais qu’est-ce que c’est ? J’ai écrit à
mon père – ils habitaient à Cologne, moi, j’étais encore à Francfort – pour lui
demander des explications.
Eddie : Je
ne pense pas à la guerre sauf si au cours d’une soirée quelqu’un commence à me
dire : « Racontez-moi donc… », alors là je me mets à ressortir
toutes les vieilles histoires. Il n’y a guère que ceux qui ne les ont jamais
entendues qui ne s’ennuient pas. Parfois, quand j’y repense, je me dis que c’est
vraiment l’époque où j’ai eu le moins de responsabilités. Après, finie la rigolade.
Ursula : Tu
viens de dire « finie la rigolade ». Je me souviens, un jour avant la
fin de la guerre. Tout brûlait. Quelqu’un montrait aux soldats allemands qui se
repliaient comment se servir d’une grenade à main. Je ne l’oublierai jamais. La
grenade est tombée et a explosé. C’était la première fois que j’approchais la
mort. J’avais vu des maisons disparaître mais je n’avais encore jamais vu de
morts. Cette fois-là on a vu ces gosses sous notre fenêtre. Presque tous tués, les
autres estropiés jusqu’à la fin de leurs jours. C’étaient des gamins de seize, dix-sept
ans. Ils étaient environ dix. Les gémissements, les cris, le sang. Ma mère
jetait de la gaze par la fenêtre, plein de rouleaux de gaze qu’elle avait
récupérés. Elle s’est complètement débarrassée de son butin. Elle est descendue
aider. La fin de la guerre, pour moi, ç’a été ça. J’ai juste eu le temps de
voir ce qui s’était passé et ma mère m’a éloignée de la fenêtre : « Et
que je ne te voie pas revenir à la fenêtre. »
La guerre faisait partie du domaine réservé aux adultes. Les
enfants en étaient exclus. Au milieu de toute cette horreur ma mère a essayé de
me protéger – de quelque chose. On ne
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