La Cabale des Muses
intrigué.
Le maréchal des logis hocha la tête, reprit son souffle et continua en consentant visiblement de sérieux efforts pour supporter le tangage et les cahots provoqués par les gros galets inclus dans la piste sableuse et des affleurements d’un calcaire gris verdâtre.
— Monsieur Vauban ordonna de creuser à l’extérieur de la contrescarpe une triple ligne de tranchées qui permettaient d’une part à nos troupes de s’approcher au plus près sans danger – ce qui pour lui était l’impérative priorité – et, d’autre part, d’interdire aux assiégés des sorties de cavalerie. Les assauts furent lancés par les faubourgs de Wisk, les portes de Bruxelles et de Tongres, sur la Jeker, petite rivière qui traverse Maëstricht… Le 18 juin, une attaque d’artillerie dura trente-six heures et permit la prise du fort Saint-Pierre qui protégeait la ville depuis la colline. C’est là que le roi installa son quartier général où nous sommes désormais implantés. C’était fort téméraire, malgré tout, car il campait à portée des boulets ennemis. D’ailleurs, un tambour des mousquetaires fut tué de cette façon. Puis la tente du chevalier de Fourilles se vit transpercée de part en part, ainsi que celle des Récollets où ils disaient la messe. Le lieutenant Thomasset y reçut un éclat dans la jambe. Le 24 juin, les canons ripostèrent depuis Saint-Pierre tandis que le régiment Dauphin et la deuxième compagnie des mousquetaires, menée par le comte de Montal, assuraient une seconde diversion. L’armée royale put attaquer la porte de Tongres en présence de Sa Majesté et du sieur d’Artagnan… dont voici la tombe.
D’Aligny souhaita qu’on l’aide à descendre. Il voulait se recueillir sur la modeste sépulture, protégée par une simple chaîne dans l’angle que formaient une tour et la muraille. Géraud se demandait qui avait décidé de la placer à cet endroit insolite, isolé et exposé. Elle lui semblait à la fois perdue et écrasée par la monumentale enceinte. D’Artagnan pouvait-il reposer sereinement pour l’éternité si loin de sa terre natale de Gascogne ?
Du coin de l’œil, Lebayle surveillait le mousquetaire blessé dans sa chair, dans son cœur et dans son âme qui, sous cette chaleur accablante, rectifiait son équilibre avec difficulté. Il craignait à chaque instant de le voir s’écrouler. Il n’en fut rien. Quarré d’Aligny s’arracha au recueillement pour solliciter son bras. Il leva un regard ému et égaré vers son accompagnateur.
— Je devine la question qui vous brûle les lèvres. Je vais y répondre… En raison de cette canicule éprouvante, le roi a décidé d’inhumer son ami sur les lieux de son dernier combat, se promettant de le rapatrier plus tard ; mais la guerre s’achève à peine et d’autres conflits requièrent sa présence car de nouvelles coalitions se sont constituées contre la France.
Ils regagnèrent la charrette qui fit demi-tour et longea les travaux de monsieur Vauban dont on pouvait admirer le tracé impeccable, la rigueur, la solidité. D’Aligny prit sur lui afin de poursuivre son récit :
— À présent, je vais vous citer des personnalités qui ont eu une grande importance dans la prise de la demi-lune que nous allons bientôt découvrir… Le comte de Montbron dirigeait trois cents grenadiers et quatre bataillons. D’Artagnan commandait sa première compagnie et une partie de la seconde, portée en renfort. Il était épaulé par le duc de Monmouth, lieutenant général du jour. Celui-ci commandait trente lifeguards et presque autant de gentlemen . Les ennemis, gouverneur en tête, résistèrent un long moment, puis se replièrent vers la demi-lune, position stratégique capitale, dans l’espoir de la reprendre aux Français. Ils y sacrifièrent beaucoup d’hommes ; nous conservâmes l’avantage des chemins couverts, de la contrescarpe et de la demi-lune.
D’Aligny se redressa, aiguillonné par le souvenir cuisant de la bataille. Son regard fiévreux s’embua. Il revivait la scène :
— Le combat dura toute la nuit. D’Artagnan, nanti du don d’ubiquité, orchestrait, exhortait, se battait avec un art consommé qui lui conférait une sorte de cuirasse invisible, et lui octroyait une vigueur hors du commun. Il évitait d’exposer ses hommes comme s’il en était de sa propre personne, rappelant à la raison ceux qui s’exaltaient trop, poussant d’un côté et de l’autre,
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