La Cabale des Muses
faiblesse et de délabrement car je fus exposé en première ligne pendant l’essentiel du combat. Je n’ai pas quitté un instant monsieur d’Artagnan 1 qui était pour moi un ami et un mentor. Il est des détails que je suis seul à connaître, susceptibles d’éclairer vos recherches et je souhaite ardemment moi aussi que la vérité soit établie, ainsi que les responsabilités de chacun dans cette douloureuse circonstance, sans distinction de grade ou de rang.
— Monsieur, je suis honoré de collaborer avec un soldat aussi vaillant et courageux, mais ne voudrais en aucun cas abuser de vos forces.
— Mes blessures ne sont rien, comparées aux pertes que nous avons subies. Je suis toutefois désolé de vous imposer un moyen de transport pas très glorieux : ce simple chariot à munitions. Je tiens avant tout à vous montrer les lieux et vous dévoiler les alentours de cette fâcheuse demi-lune afin que vous appréhendiez au mieux la situation tandis que je vous relaterai la genèse de l’assaut. Mais en priorité, je veux vous conduire sur la sépulture du grand homme auquel j’étais très lié, vous l’avez compris, comme un fils à son père.
Sur un signe, un soldat s’empressa d’aider le maréchal des logis d’Aligny 2 à monter s’asseoir sur le siège. Lebayle s’installa à l’arrière. Ils descendirent la pente en cahotant.
— Je serai amené à me montrer un peu didactique afin de rester le plus objectif possible. N’hésitez pas à m’interrompre si mes propos ne vous paraissent pas assez limpides. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » mais peut paraître obscur à un auditeur non initié.
— N’ayez crainte, je suis certain que vous vous acquitterez au mieux de cette tâche.
D’Aligny tourna à demi la tête et esquissa un demi-sourire.
— Vous êtes indulgent… En mai dernier, le roi rejoignait donc son armée, ici, en Hollande, pour une nouvelle campagne. Les deux compagnies de mousquetaires se tenaient bien entendu à ses côtés. La seconde était sous les ordres du capitaine-lieutenant monsieur de Montbron – retenez ce nom, vous serez amené à le rencontrer – tandis que monsieur d’Artagnan commandait la première. Il faut savoir toutefois que, durant son absence – il avait été nommé gouverneur de Lille où il s’ennuyait fermement –, c’est le sous-lieutenant Jean-Louis Castéra de la Rivière qui en assura l’intérim. Celui-ci rencontra d’importantes difficultés avec ses hommes sur lesquels il n’arrivait pas à imposer son autorité. Pendant la campagne de l’été 1672, plusieurs mousquetaires – qui furent sanctionnés – avaient déserté. Le retour de monsieur d’Artagnan à son poste fut très apprécié ; cependant, il lui fallut quelque temps pour reprendre en main sa compagnie.
Le chariot bringuebalant descendit vers la berge de la Meuse. Il fut calé sur une barge qui l’amena sur l’autre rive, au pied des épais remparts flanqués de tours massives et protégés par d’imposantes défenses extérieures. Ce modèle de constructions avait été conçu par le marquis de Vauban : glacis, fossés, escarpes et contrescarpes, bastions, demi-lunes, redans, ouvrages à cornes…
Ils suivirent une sente sinueuse, contournèrent la citadelle, louvoyèrent entre les faisceaux d’armes, les foyers, les chevaux à l’attache, les tentes, les futailles et les caisses bâchées, les guérites des sentinelles…
— Donc, reprit d’Aligny après ce long intermède, le roi, à l’issue d’un détour par Lille, Courtrai et Bruxelles, arriva le 10 juin devant Maëstricht avec 24 000 soldats, 16 000 cavaliers, tous ses mousquetaires et cinquante-huit canons. En face, Jacques de Farjeau, le gouverneur 3 , militaire d’expérience, disposait malgré tout, derrière ses remparts, de 8 000 hommes. Il se trouvait cerné sur les deux côtés de la Meuse : l’armée royale sur la rive gauche, celle de Turenne à droite, les deux reliées par un pont de bateaux. Toutes les précautions étaient prises. De plus, six semaines de nourriture et de munitions étaient assurées avant l’arrivée du ravitaillement suivant. Monsieur Vauban qui est un mien voisin, nos fiefs se touchent, créa pour l’occasion une nouvelle technique. Mon explication vous paraîtra superflue et fastidieuse, mais elle est capitale pour la compréhension de la suite.
— Ne vous formalisez pas, je vous suis très attentif car fort
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