La Cabale des Muses
part. Encore si cela pouvait interdire toute mauvaise rencontre, mais on sait que ce n’était presque jamais le cas.
Les deux éclaireurs se dressèrent sur leurs étriers, flairèrent l’atmosphère. Il n’y avait pas même un freux pour encrer le décor et réveiller les échos endoloris.
L’inaction et l’indécision pesaient sur le commissaire Lebayle. Ils n’avaient obtenu aucune information ni de la part des habitants du château ni du personnel. Et si l’on s’en remettait au hasard et s’égaillait pour ratisser le plus largement possible ?... À trois, mieux valait ne pas s’écarter de la voie principale, le prince n’avait aucune raison de faire un détour… Il fallait aussi se garder de ne pas être pris à revers par les ravisseurs avertis – comme il l’avait été lui-même – grâce à une estafette venue de Paris. Il ne pouvait en être autrement. Cependant, aucune trace fraîche de sabots n’avait été remarquée, ni dans un sens ni dans l’autre. On n’avait pas davantage entr’aperçu le plus petit passereau appâté par un crottin fumant.
De nouvelles questions ensevelirent le commissaire sous un tumulus d’incertitudes. D’un regard, il interrogea ses accompagnateurs, tendus tous azimuts vers un horizon incertain. Pistol avait-il été mal renseigné ?
L’un des deux hommes suggéra de se rendre à la falaise et Portmort 1 . La route la plus directe de Paris-Versailles traversait logiquement Mantes et Vernon, en longeant la Seine. Faute de mieux, Lebayle accepta cette proposition. Ils y trottèrent, guidés à travers les cimes dénudées par les tours du château et le clocher de la petite église toute neuve. Ils croisèrent un bûcheron, sa cognée sur l’épaule qui ranima l’espoir : des loups rôdaient dans les parages ! Il lui fut demandé de se renseigner plus avant et, en échange de quelques pièces, de laisser un message à l’auberge.
Ils continuèrent vers le deuxième village, croisèrent le menhir qu’on appelait « Gravier de Gargantua 2 ». La butte abrupte du Château-Neuf qui s’élevait à plus de cent pieds au-dessus du fleuve offrait un excellent poste d’observation. Ils s’accordèrent pour y grimper par le versant ouest, achevèrent l’ascension par le nord d’un accès plus aisé. La vue était en effet panoramique sur la forêt où la route n’apparaissait dans les trouées que par intermittence. Serait-ce suffisant pour repérer une poignée de cavaliers car le dauphin, malgré le temps, ne se déplaçait certainement pas en carrosse ? Au nord-ouest, la crête de la falaise constituait une muraille infranchissable qu’il fallait contourner. Ils auraient aimé entendre retentir quelques lugubres hurlements dans l’air glacé figeant des bandeaux de brume terne à mi-hauteur de la paroi. De ce côté, il était difficile de repérer quoi que ce soit, d’autant que les éventuels agresseurs s’emploieraient à passer inaperçus.
Soudain, le deuxième guide tendit l’index dans une direction précise. Quelques silhouettes furtives apparaissaient au creux d’une clairière ovale. On scruta la déchirure suivante et dénombra bientôt une dizaine de cavaliers. Aucun doute, il s’agissait du dauphin ! Le cœur du commissaire se prit à caracoler, de joie et d’inquiétude à la fois. Il décida de descendre à sa rencontre en coupant par l’est. Ils s’élancèrent, autant que les fondrières et les congères le leur permettaient, évitèrent au mieux les pièges des ravines, rallièrent avec soulagement la petite route. Dès que le groupe fut en vue, Géraud lui adressa des signes qu’il voulait d’apaisement. Les cavaliers s’arrêtèrent, se regroupèrent, sortirent leurs armes. Il s’avança, seul :
— Mon prince, je suis le commissaire Lebayle, au service de monsieur de La Reynie. Nous avons été prévenus d’un guet-apens et nous nous sommes avancés à votre rencontre pour vous en avertir.
Il sortit son ordre de mission permanent, le tendit au garde-chasse posté en écran devant le jeune homme qui était le portrait de son père, ne serait-ce la juvénilité du visage et la blonde chevelure.
— Pensez-vous m’interdire de chasser ? objecta celui-ci avec hauteur et fierté.
— Telle n’est pas notre intention, mon prince. Cependant, mon devoir est de vous mettre en garde contre un complot dont nous surveillons les meneurs depuis des semaines avec monsieur de Saint-Aignan, le gouverneur du
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