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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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écœurent. Tout geste un peu brusque se
transforme en transpiration maximale. Je sens que je résiste moins bien et
deviens poussif. De temps à autre le « spleen », comme disent les
« british », m’envahit. J’éprouve une envie folle de me retrouver sur
une route française, marchant d’un bon pas, aux côtés de Beauceron, de
L’Angoumois, en sentant un petit vent frais balayer mon visage. Je reçois d’un
seul coup trois lettres de ma mère qui se fait de la bile pour moi et compte
les jours qui la séparent encore de mon retour.
    Le travail se trouve un peu paralysé par les crues terribles
qui proviennent de la région de Tete, plus en amont. Je fais des progrès en
anglais, ce qui me permet de prendre part aux conversations. Louis corrige mes
fautes ensuite, lorsque nous sommes seuls. Quant aux Portugais propriétaires du
pays, ils vivotent à l’ombre des représentants de la reine Victoria. De petite
taille, avec le plus souvent une chevelure brune surplombant un visage
tristounet, ils travaillent sans souci et sont payés à un barème légèrement
supérieur à celui des indigènes, mais ils n’ont pas le droit de vivre avec
nous. Presque considérés comme des bâtards européens, ils supportent tout, en
serrant les dents. J’ai tenté de parler avec eux en espagnol. Ils simulent une
compréhension relative mais, je n’arrive pas à comprendre leurs réponses. Leur
langue me paraît dure, heurtée, à l’accent presque germanique.
    Sans la présence de Louis, ma vie serait très dure. Nous
avons la chance de ne pas avoir de concert nos crises de cafard ; aussi,
l’un est toujours là pour consoler l’autre. Les Anglais organisent des chasses
aux fauves. Je les suis, armé d’un pistolet de fort calibre, mais ne tire pas
sur les bêtes trop belles, libres, heureuses. J’estime que, du pôle Nord au
pôle Sud, les hommes ne sont que locataires des lieux où vivent les animaux,
les seuls propriétaires. Les Noirs jouent les rabatteurs dans les hautes herbes
et les arbustes épineux. Il m’est arrivé plusieurs fois d’entendre les cris de
détresse poussés par ces hommes. Pour un Anglais ce n’est qu’un accident. Les
charognards doivent manger à leur faim ! J’ai tiré une seule fois devant
un troupeau de buffles qui nous chargeaient. Le bruit, la fougue, la volonté et
l’inconscience de ces bêtes paralysent les plus courageux. J’ai senti une corne
frôler ma poitrine et l’image des courses de taureaux m’est revenue en mémoire.
Les antilopes nombreuses se retrouvent sur les tables accompagnées de sauces
peu relevées. Leurs cuissots et filets font une excellente viande séchée et
fumée. Je sens que mon attitude, réservée face à la tuerie, est très mal
appréciée par les « viandars ». Sur le fleuve, j’observe souvent les
hérons fiers et snobs, les martins-pêcheurs indiscrets et rapides, les ibis aux
allures de filles légèrement empruntées. L’aigle pêcheur, magnifique dans sa
chasse, tournoie, passe et repasse au-dessus de son gibier, comme pour se
mettre en appétit, avant de s’abattre sur lui avec une précision minutieuse.
Les éléphants, rhinocéros, lions, léopards et autres animaux nobles se trouvent
nombreux au sud de notre camp. Je les ai observés à plusieurs reprises lors des
grandes randonnées que Mac Green organise avec ceux de ses collaborateurs qu’il
veut récompenser.
    Mon amour pour le bois trouve son plein contentement dans
cette région. Baquet me donne les noms des arbres inconnus encore pour
moi : goyaviers, citronniers sauvages, goundas, baobabs aux troncs
énormes, gaïacs aux jolies fleurs bleues. Le makoum doun-Koundou sert à la
fabrication des mâts de bateau ; le mikola, sorte d’hibiscus, donne une
écorce que les indigènes travaillent pour faire des cordages. Le pandanus, à
l’allure du palmier, entre dans la fabrication de nasses à poisson. Le long des
rives, on trouve à profusion les fougères, roseaux, daturas aux fleurs
envoûtantes par leur parfum, sénés aux feuilles laxatives. Dans la brousse, les
serpents chassent la maladie lorsqu’ils sont cloués sur les cases des
indigènes. Les musulmans assimilent l’hippopotame au phacochère, autrement dit
au cochon, en se refusant d’en manger. J’ai eu l’occasion de rencontrer
quelques tribus nommées Landines, un mélange de cafres et de zoulous. La nuit
on entend dans le lointain des concerts de marimbas, sorte de xylophones, mêlés
aux

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