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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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Ils semblent toujours rechercher
quelque chose. Le camp, assez bien disposé, comprend de nombreuses baraques
implantées sur un terre-plein sillonné de rues assez larges. On y trouve le
groupe bureau, la direction, les villas coloniales pour les grands chefs ;
un autre groupe pour les ingénieurs. Les cuisines, le club, le restaurant, les
cantines sont rassemblés un peu plus loin. D’autres bâtiments abritent les
réserves de matériel, des machines, les instruments en vue des réparations, les
pièces de ferraille. Les logements, les cantines, la petite guinguette pour les
gens de couleur et les Portugais forment un quartier à part où la nuit les
bruits de bagarres réveillent les habitants. Les Hindous, les Musulmans, les
Chinois et les Noirs se battent. Le service de sécurité à tôt fait de résoudre
tous les litiges à coups de gourdins. On les conduit en prison dans des
cellules où on ne peut ni s’allonger ni se tenir debout. Peu à peu, je prends
connaissance des lieux. Bien des choses me surprennent. L’alcool, pourtant
interdit, franchit les palissades. Les hommes s’enivrent faute d’autres
occupations. J’ai découvert également un jardin potager, un poulailler et une
porcherie. Quelques petites vaches efflanquées paissent dans un enclos en
compagnie d’un taureau qui me semble très près de la retraite.
    Un mois plus tard, le fleuve devient jaunâtre. Il bouillonne
sourdement, puis bondit pour mordre la rive. Nous aurions encore le temps de
construire une digue pour détourner, ne fusse que légèrement, la force du
courant. Je saurais le faire, mais Louis m’a conseillé le silence. Pourtant je
ne peux m’en empêcher. Cette impuissance à m’expliquer dans cette langue
m’oblige à représenter l’ouvrage par un dessin que je montre à Baquet.
    — Cela me semble le bon sens même, mon vieux, seulement
tu prends un gros risque. Débrouille-toi.
    Têtu comme un âne bâté, je me rends chez un ingénieur qui me
semble moins obtus que les autres. Cet Irlandais, nommé O’Donnell connaît
quelques mots de français. Nous tentons dans un jargon imagé de nous
comprendre. Je sens qu’il a saisi mon dessin et sa valeur technique. Je lui
explique, par des gestes et des coups de crayon, ce que l’on peut tirer de mon
idée. Il me fait oui de la tête et me demande de lui confier le projet.
J’accepte.
    Trois jours plus tard, durant la réunion à laquelle
j’assiste, l’ingénieur en chef Mac Green nous expose son idée par un dessin sur
un tableau noir. Tous les hommes présents le félicitent de son trait de génie.
Baquet me regarde du coin de l’œil et tousse pour ne pas éclater de rire. Bien
entendu mon idée est devenue celle du grand directeur. Le soir on porte des
toasts à Cecil Rhodes et Mac Green pour son travail magnifique. Dès le
lendemain, nous employons toutes les équipes à la construction de cette digue
dont la hauteur variera au fur et à mesure de la montée des eaux. Des soldats,
le fusil au poing, surveillent les crocodiles afin que nous n’ayons pas trop
d’amputés parmi le personnel. Comme tout vrai Français ou habitant de l’Europe
continentale je n’emploie que le système métrique. Ici, il ne faut penser,
mesurer, en pouce, pied, yard, mile, acre, once, ton. Un vrai casse-tête !
Là encore Louis vient à mon secours et joue au professeur avec une patience
digne d’éloge. Le soir, j’apprends mon vocabulaire et quelques règles de
grammaire comme un gosse à l’école. Petit à petit, les mots anglais me viennent
à l’esprit. Je débite des expressions que je retiens par cœur. Moi qui n’ai
jamais touché une carte à jouer de ma vie, je commence l’apprentissage du
bridge. Je fais également des parties de fléchettes. Un dimanche, Louis
m’emmène au golf. Sur le moment cela me semble facile et stupide.
    — Tu seras bien jugé si tu tapes dans la balle, mais si
tu te révèles bon à cette pratique arrange-toi pour ne pas gagner souvent, car
ta cote aujourd’hui montante descendrait rapidement.
    Un jour, un clergyman protestant débarque. Il organise un
service religieux. Baquet suggère de m’y rendre. Là, la coupe est pleine. Je
joue au malade et le médecin passe me voir dans la soirée. Il me tâte le
ventre, pose son stéthoscope sur mon thorax et laisse des petits sachets de
poudre blanche que je lance dans le trou des toilettes après son départ. En
revanche, je prends régulièrement ma dose de quinine pour

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