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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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tambours et à plusieurs violons monocordes. Je ne peux pas dire que ce soit
particulièrement harmonieux, mais comme dit Louis « ça fait couleur
locale ! ».
    Quelques jours avant mon premier départ en congé, je suis
secoué par une crise de paludisme. Ne connaissant pas la maladie, j’ai tôt fait
de m’inquiéter. Le toubib « entremetteur », qui tous les mois fort
gentiment me permet de me faire ramollir, augmente ma ration de quinine. Un des
domestiques « valet de chambre » me procure une racine que je dois
sucer. L’effet est presque immédiat. Je ressens une joie sans limite à
reprendre le steamer qui va, en deux jours, le sens du courant aidant, m’amener
contre les flancs du navire qui me conduira en France. Louis est du voyage car ses
périodes de vacances correspondent aux miennes. Je le trouve très fatigué,
jaune, l’intérieur des paupières rougi.
    — Encore deux allers et retours, me confie-t-il, et je
suis bon pour trouver un appartement à Vichy à côté du cimetière. Un mois avant
notre départ, nous avons enterré un Anglais mort assez rapidement d’un ictère
du foie. Baquet connaissait bien l’homme qui se plaignait depuis longtemps du
côté droit. Il ne mangeait plus et ne buvait que du thé.
    — D’après moi, les vers que nous attrapons ici nous
bouffent les tripes, m’assure-t-il. Tu as compris, Adolphe ? En cas de
coup dur, pas de rapatriement d’urgence ni de spécialiste quelconque, ça
s’arrange ou tu crèves.
    Le voyage de retour assez calme est perturbé par une bonne
femme qui, au cours d’une crise de nerfs, se balance dans la flotte. Les
requins se précipitent pour festoyer. Nous nous quittons, Louis et moi, à
Marseille et nous donnons rendez-vous soixante jours après sur le pont du
navire en partance. Je dirige mes pas vers le temple maçonnique où je me fais
reconnaître de mes frères et suis pris en main par un toubib spécialiste des
maladies tropicales, Pierre Michelet. Devant les résultats de mes analyses, il
me dit sérieusement :
    — Mon frère Adolphe, tu vas avaler quelques drogues et
faire des piqûres qui gommeront très rapidement les saloperies que tu as
récoltées. Je te fais une ordonnance. Reviens me voir avant ton prochain grand
départ.
    Je télégraphie à ma mère pour l’aviser de mon retour et
écris à mon Ours que je me dirige sur Saint-Aignan.
    Lors de mon passage à Paris, après une brève conversation,
monsieur Barrett me remet un gros chèque. Peu à peu mon moral reprend force et
vigueur, en comptant les zéros qui suivent les dizaines.
    À mon arrivée, ma mère, après un premier coup d’œil un peu
humide, me parle d’une voix douce et pourtant ferme :
    — Mon grand, tu as maigri, tu es fatigué… Ah ! tu
avais bien besoin de partir chez les sauvages ! Je te garde auprès de moi,
il ne t’arrivera rien.
    Mes frères et sœurs réclament des histoires de bêtes
féroces. Ils s’agitent, se disputent presque pour savoir qui remplira mon
verre, coupera le pain ou fera mon lit. Quel plaisir de sentir autant d’amour
et de chaleur humaine, après une si longue privation ! J’en avais oublié
le goût. Leur mine réjouie me ravit lorsque chacun me conte ses histoires de
travail, de camaraderie ou de rencontres. Je déguste leur bavardage, fermant
les yeux en gourmet.
    Huit jours après mon arrivée chez ma mère, débarquent
Beauceron et Marianne. Les grosses larmes de joie, les baisers humides et les
tapes dans le dos m’étouffent tendrement avant que je puisse raconter à nouveau
mes aventures. Je fais provision de cette intimité familiale qui me sera si
utile lorsque je reprendrai ma solitude comme un cheval son licou. Ils sont
tous réunis autour de la table. Mon regard les caresse successivement comme
s’il désirait prendre le moule de chacun. Ma mère toute fière porte une robe de
laine aubergine foncée. Elle a jeté sur ses épaules le châle que je lui ai
offert jadis. Ses yeux se posent sur l’un, puis l’autre, en veillant à la
distribution des plats, au remplissage des verres vides, à la tenue des jeunes.
Rien ne lui échappe. Elle grignote comme une souris, sourit comme une madone.
Entre deux bouchées, sa main vient couvrir la mienne. Malgré ses cheveux
devenus blancs qui lui donnent une distinction de milady, elle vieillit
doucement. L’embonpoint de la Marianne la rapetisse un peu, mais ne l’empêche
pas de surveiller amoureusement son ourson. Lui, en revanche, a

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