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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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pris un coup de
vieux. Son dos se voûte légèrement. J’ai remarqué aussi qu’en marchant il
traîne un peu sa jambe droite. Maintenant, il vide son verre en trois fois. Son
visage rayonne de bonheur et d’orgueil parce qu’il se trouve là, parmi nous, en
famille. Marie, la grande, mange rapidement, se lève sans cesse pour apporter
un plat, débarrasser, remplacer les bouteilles. C’est elle la véritable mère de
toute cette nichée. Juliette et Georgette l’aident avec un plaisir non
dissimulé et une bonne volonté certaine. Georges et Henri jouent aux hommes en
charge de responsabilités. Leurs gestes sont courts, précis et leur jugement
tranchant. Je sens chez ces deux-là une ressemblance morale et physique avec
mon père. Enfin Frédéric, qui fait bande à part, assiste sans être vraiment à
notre réunion. De temps en temps, il participe à la conversation en glissant
une pirouette verbale.
    Beauceron et moi allons faire une balade en ville pour
bavarder entre hommes. Incidemment, j’avais appris par le notaire qu’un petit
café situé en bas du village, le long du Cher, était à vendre. Je connaissais
le vieux couple qui exploitait l’établissement et savais que son prix pouvait
être discuté. Nous allons donc y boire deux fillettes en observant la
clientèle. L’Ours s’assied en face de moi à une table. Son regard tourne autour
de la salle.
    — Pas très propre, me dit-il en faisant la moue. Ils
feraient bien de passer un coup de peinture, ou tout au moins d’enlever les
toiles d’araignées.
    — Cela ne les empêche pas de faire leurs affaires. Ils
se trouvent juste en face de l’arrêt de la diligence. Ça doit marcher.
    — Le bistroquet nourrit son homme, tu sais mon drôle.
Je te garantis qu’avec son truc La Marianne a fait du beurre. Quand tu mets de
l’eau gratuite dans du jus pas cher, le bénéfice devient important. Même le
plus fauché peut dépenser deux sous. Il suffit d’avoir beaucoup de monde.
Actuellement on possède une petite cagnotte. Oh ! évidemment ça n’a rien à
voir avec ton salaire de millionnaire, mais encore dix ans de trimard et, avec
le truc de La Marianne, on pourra donner un comptant pour devenir les
propriétaires d’une petite affaire.
    Je l’écoute en ne quittant pas des yeux son visage sérieux
tandis qu’une bonne envie de rire me mordille les boyaux.
    Le lendemain, le notaire reçoit ma visite.
    — Voilà ce que j’ai décidé, lui dis-je en souriant.
Pouvez-vous conclure un prix ferme selon la somme que nous avons déjà
envisagée. Le nom de l’acheteur doit rester entre nous. Après mon départ, les
papiers étant en règle, vous serez aimable de prévenir mon ami Alcide Dubois à
Chambéry qu’il vienne prendre les clés du bistroquet et règle juste à ses
prédécesseurs le matériel et le stock de la cave. Dans quel état se trouve le
petit appartement au-dessus ?
    — Un logement simple composé de deux chambres et un grenier,
le tout de la surface du commerce. En bas, il jouira également d’un petit
jardin et d’un appentis situé au fond. Les waters se trouvent dehors tout près
de la porte de la cuisine. Ils peuvent également exploiter une portion de
terrain afin d’installer une terrasse devant ; mais limitée, je pense, à
cinq tables contre la façade.
    — Parfait, je vous charge de toutes les formalités et
vous remercie d’avance de les aider.
    — Je n’y manquerai pas, car ce sont de braves gens.
    — Oh oui ! et je leur dois énormément. D’autre
part, si je venais à disparaître, la « Chartered Cie » vous en
aviserait et devrait vous verser les mensualités en cours plus une aide pour ma
famille. Il faut tout prévoir, ça ne provoque pas la mort.
    — Je crois qu’ainsi on conjure le sort. Si votre père
était encore de ce monde, il vous complimenterait.
    L’après-midi même, nous nous retrouvons seuls mon gros Ours
et moi. Je lui tends une enveloppe cachetée.
    — Mets ça dans ta poche. Ce pli contient mes instructions
au cas où je ne reviendrais pas.
    Beauceron bondit, trépigne et me dit d’une voix de
stentor :
    — Tu es fou, mon drôle, totalement fou de parler ainsi,
je ne t’ai pas élevé jusqu’à présent pour entendre ces absurdités.
    Je raisonne mon Ours qui se calme très lentement. Je le
touche en lui disant que je tiens à ce qu’il ait la responsabilité des miens.
Il bougonne, gratte son pois chiche sur la joue, lance une courte série

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