La canne aux rubans
de
« mille Dieux » et, la larme à l’œil, conclut :
— S’il t’arrivait malheur, mon petit, la tombe
s’ouvrirait devant moi et je te rejoindrais.
— Mais La Marianne ? Penses-y vieil égoïste. Et ma
famille ?
— Tu es mon fils, Adolphe. Je suis ton deuxième père et
le seul maintenant. Mon petit, mon drôle, mon autre moi-même, si tu savais comme
je t’aime !
Ses larmes, d’abord hésitantes, roulent sur ses joues,
empruntent les sillons de ses rides, lui mouillent le menton, puis se perdent
sur le plastron de sa chemise. Ce moment très fort me prend aussi aux tripes.
Alors, pour rompre l’émotion, je force ma voix et, dans un faux rire, je lui
dis :
— Nous avons l’habitude de mouiller l’intérieur de nos
magasins plutôt que nos devantures. Allons boire une bouteille. Rien de tel
pour se refaire une santé. Crois-moi, à côté du thé, c’est le paradis par
rapport à l’enfer.
En fin de semaine, Beauceron et la Marianne nous quittent.
Durant un court aparté, je dis simplement à cette dernière :
— Marianne, ne vous inquiétez plus au sujet de la santé
de votre ourson. Je ne peux vous en dire davantage, mais tout est arrangé.
Ses grands yeux de chatte s’écarquillent comme si je lui
avais annoncé la fin du monde. Ma mère entre alors dans la pièce et me
dit :
— Je prépare un panier pour nos voyageurs. Viens, mon
grand, choisir quelques bouteilles, ils les boiront dans leur Savoie, s’ils
peuvent attendre jusque-là.
Les adieux sont touchants. Les joues se tendent, les baisers
pleuvent, des mercis sans fin s’enchaînent et se perdent au coin de la place.
Beauceron, dans l’oreille, me souffle en guise d’au revoir :
— Fais attention à toi, pense à nous tous, sacré
africain !
Les jours passent, calmes et doux. N’ayant pas rapporté de
cadeaux à tous les miens, je décide de les emmener à la foire de Montrichard.
Dès notre arrivée, j’aide chacun à se prononcer sur le choix d’un présent. Ma
mère, après beaucoup d’hésitations, choisit une montre en sautoir. Marie
préfère un manteau. Julienne opte pour un grand métrage d’étoffe. Georgette a
besoin de souliers. Georges aime mieux un paletot. Henri des paquets de graines
et un sécateur. Frédéric des soldats de plomb. Nous déjeunons à l’auberge et le
soir nous revenons à Saint-Aignan. Quelle journée ! Je suis si heureux de
leur apporter un peu de bonheur que, finalement, je me pose la question :
« Suis-je égoïste en me faisant ce plaisir ? ».
Durant les journées suivantes, mes occupations se bornent à
casser du bois, faire quelques courses, rencontrer des amis. La vie me semble
douce, trop douce… Je réalise brusquement que, si je veux passer à Paris un
jour ou deux, descendre sur Marseille voir mon frère toubib et faire quelques
emplettes, il ne me reste que quelques jours. J’ai a retrouvé toute ma force et
mon énergie. Je me sens bien, parfaitement bien. Mon cœur se serre en quittant
Saint-Aignan. Avec discrétion, je respire le parfum du visage de ma mère comme
si je pouvais l’emporter avec moi.
Paris m’accapare, m’oppresse, me fatigue un peu. Je revois
monsieur Barrett qui me trouve beaucoup mieux qu’à mon arrivée. Il me signale
que les rapports de Vila de Sena soulignent mon travail assidu et sérieux. En
résumé, je donne une excellente impression à la direction locale. Il me charge
de quelques commissions et d’enveloppes closes cachetées à la cire rouge. Je
passe voir mon frère Lecourtois qui me donne des nouvelles de Rabier et de Balme.
— Ils doivent venir dans un mois. Dommage ! Tu
seras parti. Ils sont très fatigués. La chaleur sèche ou humide a vite fait de
vous accabler après un long séjour. Tu connais !
— Donne mon tendre et très fraternel souvenir à tous.
Je décide de regagner Marseille où le toubib Pierre Michelet
m’examine et me garde à dîner. Il s’applique à me mettre en garde contre les
dangers multiples du Mozambique, car c’est ainsi que l’on nomme désormais
l’Afrique orientale portugaise.
— Tout se résume au problème d’eau polluée. Méfie-toi
des salades nettoyées à la « va comme je te pousse », ne te lave les
dents qu’avec du thé ; bref, si tu veux survivre, et ne pas nous revenir
complètement sur les genoux, agis avec discernement et beaucoup de précautions.
Je lui raconte les copulations avec les indigènes. Il se met
à rire et me
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