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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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combattre les
fièvres. Je trouve ce goût amer désagréable, mais un whisky par-dessus efface
tout. J’écris à mes parents, à mes amis pour leur donner de mes nouvelles. Le
courrier arrive et part à peu près tous les mois. On me l’adresse à la
« Chartered Cie » à Paris qui le transmet quand elle peut. Ces
lettres sont les seuls liens magiques, les seuls ponts chimériques qui
traversent l’espace et le temps de l’amour et de la patience.

 
IX
    Un soir au club, Louis me dit en aparté : « demain
on fait l’amour. »
    — Avec ou contre qui ? lui dis-je en souriant.
    — Je vais t’expliquer, Adolphe. Le toubib et ses deux
infirmiers reçoivent des indigènes et les soignent. Dans le tas, il y a des
petites qui sont saines, alors ils les gardent dans des chambres pour
soi-disant les mettre en observation. À tour de rôle, le médecin nous fait
savoir que nous pouvons passer pour la « piqûre ». C’est bien
évidemment nous qui piquons, et tu devines avec quoi ! Nous prendrons des
cigarettes et une petite bouteille de parfum à la cantine que nous déposerons à
côté de la fille avant « la » ou « les piqûres ». Quant au
toubib, on lui paye à boire jusqu’à ce qu’il tombe raide. Il rayonne… Donc
demain c’est notre tour. Ne t’attends pas à des beautés, ferme les yeux et
respire très fort. Je suis bien placé à l’infirmerie, je te ferai profiter de
quelques avantages. Tu n’auras qu’à me suivre.
    Je reste pantois devant un tel programme. Je repense aux
femmes qui m’ont ouvert leurs bras. Je ne me livrerai pas au jeu de la
comparaison, car je perdrais sûrement mes moyens. Le lendemain soir, après le
dîner, j’accompagne Baquet jusqu’à l’infirmerie. À la porte, un des infirmiers
reconnaît Louis et l’invite à entrer. Je lui emboîte le pas.
    — Room 6 and 7, sirs, on your right.
    Louis m’entraîne dans le couloir, ouvre la porte
numéro 7 sans frapper. Il me pousse à l’intérieur et la referme. Une
surprise m’attend. Couchée sur un lit de sangle une forme dissimulée sous un
drap blanc, laisse apparaître une boule noire aux cheveux courts et crépus sur
un oreiller. Cette boule sourit. Ses yeux grands ouverts tournent comme des
billes de loto. Le spectacle me paralyse littéralement. La fille, s’apercevant
de mon désarroi, dévoile son corps. Je découvre alors de petits seins et un
pubis rasé. Elle se lève pour me prendre les cigarettes et le petit flacon de
« sent bon » en me disant quelques mots que je ne comprends pas. Je
vis une expérience nouvelle avec une partenaire dont je ne connais même pas le
prénom et que je ne pourrais pas reconnaître lors d’une rencontre ultérieure.
J’éprouve une sensation désagréable, sa transpiration dégage une odeur bizarre.
Baquet m’expliquera plus tard que les femmes indigènes trouvent que nos corps
de Blancs sentent le cadavre. Quelle joie de copuler dans ces conditions !
Mais tant pis, je suis en Afrique et comme dirait mon vieil Ours :
« le principal est de se faire ramollir ». Dans la pièce
numéro 6, j’entends les grognements de Louis et les plaintes de sa
rencontre. L’intimité n’existe pas au Zambèze ! Je revois Baquet le soir
au club, il frétille comme un goujon.
    — Alors, me dit-il en aparté, comment as-tu trouvé
ça ?
    Il éclate de rire devant mon peu d’enthousiasme, mais je le
remercie de sa combine et nous allons payer notre dette au toubib. Cette homme
grand, chauve, au nez cassé, et aux mains maigres, pourvues de doigts très
longs, semble nager avec son corps osseux dans sa chemise et son pantalon. Le
docteur Comming a déjà du vent dans les voiles mais il se tient droit devant le
bar, les pieds rivés au plancher. Il aligne whisky sec sur whisky sec. Il ne
parle pas et fixe les bouteilles rangées face à lui tel un marin, assis sur une
bitte devant la mer, observant l’horizon. Une demi-heure après il tombe tout
d’un bloc à terre. Les Anglais se retournent pour ne pas le contempler. Les
deux infirmiers qui attendent dehors arrivent et l’emportent rapidement.
    Les jours suivants, je prends quelque plaisir à taper dans
une balle de golf. Au début je la loupe ou frappe trop fort, mais petit à petit
je mesure la force de mes tirs.
    Les mois passent accompagnés du même rituel. Nos travaux
résistent à la poussée des eaux. La fierté de Mac Green s’amplifie grâce à mon
idée… La chaleur et l’humidité nous

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