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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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avoir frappé
les pays d’Europe de l’Ouest dont la France, s’étend désormais aux pays de
l’Est.
    Ionna est revenue après avoir fermé les yeux de son oncle.
Ce dernier lui laissant une grosse somme en héritage, elle propose à Julie de
racheter la librairie, ce que nous acceptons.
    De mon côté, je traite une nouvelle fois la revente de métal
avec Tuttarescu, mon grand barbu de Resita.
    La Roumanie n’échappe pas à la tourmente de la Seconde
Guerre mondiale. Des jeunes, tout excités par les discours bellicistes et les
musiques militaires tonitruantes, s’opposent à leurs pères qui, eux, ont lutté
jadis contre les Allemands. Rapidement, les rations alimentaires diminuent, et
les boutiques se vident. L’occupant nazi exige beaucoup et se sert
généreusement. La radio et la presse perdent leur esprit et leur langage plein
d’humour et de charme. Elles sont désormais aux ordres du pouvoir pro-nazi. La
délation, que je hais par dessus tout, devient monnaie courante. Nous vivotons,
ma femme et moi, protégés par notre amour, veillés par notre amitié.

 
XIV
    Julie me reparle souvent de la Moldavie et finalement nous
achetons de la terre pour y cultiver fleurs, légumes et fruits. Le doux climat
qui enveloppe Foscani, la richesse du sol m’encouragent à devenir paysan. Dans
notre petit trou, nous ressentons moins la présence nazie. J’aurai soixante-quatorze
ans dans trois jours et je me sens en pleine forme. Lorsque je regarde cette
terre, je ne peux m’empêcher de la comparer à la mienne, là-bas, très loin, sur
les bords du Cher. Alors je m’assois, me prends la tête dans les mains et rêve
très fort. Il me semble retrouver, durant quelques fugitifs instants, les
odeurs de ma terre et même le bouquet d’une fillette de ce blanc de Thésée si
cher à mon père. Ici, l’herbe raidie par le gel ne peut se confondre avec la
nôtre qui, même par grand froid, reste souple sous le pied. Aujourd’hui,
j’étends du fumier à la fourche. Son parfum me réchauffe le cœur. Tout naît de
la putréfaction. C’était le sujet que j’avais choisi pour mon dernier travail
en loge. L’occupant marque le pays de son empreinte chaque jour un peu plus.
Des Juifs ont été déportés, d’autres tués lors de pogroms ; les loges
maçonniques ont été fermées ; le pouvoir fait aussi une chasse odieuse aux
Tziganes. Le Parti communiste a été démantelé, mais le courage de ses militants
clandestins font de lui la principale force de résistance du pays. Nous autres
Français avons été répertoriés, fichés comme tous les étrangers en Roumanie.
Quand cette boucherie finira-t-elle ? Antonescu, l’homme de Berlin, parade
avec ses fantoches et, à ma grande honte, les grossistes acheteurs de notre
production fournissent ces saligauds. Il est midi et demie. J’espère apercevoir
mon petit bout de femme, portant dans ses bras un panier contenant mon
casse-croûte. Après une heure d’attente, je crois reconnaître de loin Vasile,
un des jardiniers qui s’occupe de mes serres. Il court à ma rencontre, les
mains vides. Je vais au devant de lui.
    — Monsieur, Madame est très malade, viens vite.
    Je laisse tout sur place et bondis vers la ferme. En voyant
la mine des ouvriers réunis dans la cour, je sens en mon cœur un terrible
pressentiment. Le docteur du village s’approche :
    — Elle n’a pas souffert, Monsieur.
    Agenouillé près de notre lit, j’arrose sa main de mes larmes
et admire son visage tranquille. On croirait qu’elle sommeille. Julie allait
avoir soixante-dix ans. Depuis quelque temps, elle portait la main sur sa
poitrine de temps à autre. Un jour, je m’en étais inquiété.
    — Ne crains rien mon chéri, je me suis cognée contre
l’angle de la table comme l’idiote que je suis. Je me mets de la pommade à base
de graisse de marmotte. Ça va passer.
    Je retrouve mon panier sur la table de la cuisine. La tête
d’un bouquet en dépasse, à côté d’un petit paquet au papier défroissé pour
faire plus beau. En ouvrant ce dernier, je découvre une cravate tricolore en
laine accompagnée d’un petit mot : « Bon anniversaire mon
amour. ». Ainsi le bonheur a pris des ailes de corbeau ! Je reste
seul, éperdument seul. Je souhaite ardemment mourir pour la rejoindre.
    Son corps repose au cimetière de Foscani dans l’enclos des
chrétiens. J’ai moi-même taillé la pierre qui la recouvre. Mon dernier
cadeau ! Je passe mon temps assis sur un

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