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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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mais j’ai juré. Il m’a parlé de L’Angoumois, avec sa gueule à
manger des guêpes. Grâce à lui les salaires ont été augmentés. Ah ! je te
jure qu’il râlait le singe. Bref je t’ai tout raconté, petit Blois. Ça ne sera
pas commode. Va falloir faire attention ; parce que je sais qu’il me
donnera mon sac à la première bagarre.
    Nous arrivons devant ma porte, Beauceron m’embrasse comme du
bon pain et nous nous souhaitons bonne nuit.
    — Je passerai demain matin te réveiller, dors
tranquille, petit drôle.
    Me voilà seul. J’allume la bougie, me déshabille et ai du
mal à m’endormir ; mais, vaincu par tant d’événements, je plonge dans le
néant.
    Le lendemain matin, j’entends qu’on tape au carreau de ma
fenêtre. C’est mon gros Ours qui bat le rappel. Je lui fais signe de la main.
Il me crie de le retrouver à la Croix Verte. Je procède à une toilette rapide
mais soignée à la fontaine située dans la cour. Je salue au passage ma
propriétaire occupée dans son jardin et je vais prendre mon tue-ver. Dans la
grande salle, les tables sont attribuées suivant les grades et les familles. Je
gagne donc celle des louveteaux. Mais Beauceron ne l’entend pas ainsi. Il
m’oblige à m’asseoir en sa compagnie à la table des compagnons. Du coup, les
jeunes râlent.
    — Vous allez fermer vos goules ? hurle l’Ours.
Blois est fils d’un singe et pas d’un petit, plaisante-t-il à demi. Vous saurez
un jour qui est Blois La Science. Demandez-le à vos aînés.
    Les jeunes murmurent à voix basse et se calment. Moi je suis
gêné d’être assis à cette table. Mais cela ne me coupe pas l’appétit :
j’engouffre, de peur que le ver ne fasse des œufs dans ma gorge. J’arrive donc
à cinq heures du matin au bureau et je constate qu’il est vide. Vers six heures
Monsieur Rabier me trouve assis sur les marches.
    — Que fais-tu là ?
    — C’est que j’ai l’habitude de commencer de bonne
heure… !
    — Les bureaux ouvrent à sept heures et demie, gamin.
    — Alors, Monsieur Rabier, puis-je vous demander de
travailler sur le chantier avec Beauceron jusqu’à l’ouverture de vos
bureaux ; comme ça, je ne perdrai pas mon temps ?
    Rabier me regarde, sourit, allume son petit cigare et me
répond :
    — Accordé. Tu t’occuperas du pointage des ouvriers de
cette rive. Mais attention ! certains essaieront de te carotter. Ne t’en
laisse pas conter. Ne prends pas de retard. Tu dois être présent à l’arrivée
des ingénieurs. Entre et va jeter un œil sur les plans.
    Je me passionne pour ces grandes feuilles aux traits si bien
tracés et comprends rapidement. Quelques temps après arrivent les deux
ingénieurs, jeunes, sympathiques. Ils sortent tous deux des « Arts et
Métiers » d’Angers. On bavarde un moment puis ils me donnent des petits
boulots. Très vite nous échangeons des idées au sujet du travail et mon étonnement
est grand lorsque je constate qu’ils ne connaissent pas la stéréotomie du bois.
Je leur enseignerai cette science. En échange, ils me donneront des cours de
mathématiques.
    Par la suite, ils demandent à Monsieur Rabier la permission
de m’emmener place des Récollets où se tient une école préparatoire aux Arts et
Métiers d’Angers.
    Ma joie est à son comble. Mes journées s’organisent :
Matin : pointage et bureau. Après-midi : École trois fois par semaine
ou chantier. De plus, le salaire que je touche me permet d’acheter des livres.
Le soir, dans ma chambre, je me jette dessus avec une immense faim d’apprendre.

 
II
    Pour aller rue des Récollets, depuis le chantier, il me faut
traverser les deux ponts en pierre qui enjambent la Loire. Je me régale à la
vue de ce fleuve qui s’étire entre les bancs de sable. À chaque passage je
constate un changement dans son parcours. Elle semble hésiter, s’agiter avant
d’étendre ses bras diaprés qui étreignent les îles verdoyantes. Devant cette
grande dame douce, large, languissante, les arbrisseaux s’inclinent et la
caressent. J’imagine une très belle femme quittant ses vêtements çà et là pour
se laisser aller très lentement jusqu’à l’océan.
    L’ardoise sur les toits jette un reflet dans le ciel bleu.
Il me semble que j’aime Saumur avant de le connaître. Les rues sont
grouillantes, les boutiques bien achalandées pour des gens au pas lent, au
regard précis et un peu méfiant. Certaines femmes portent la coiffe empesée.
Par petits

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