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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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fier à la fois. Cet homme m’offre ma
chance. Je ne peux retenir des larmes coulant sur mes joues. Tentant de
raffermir ma voix, je lui réponds :
    — Si je suis parti, Monsieur, c’est pour prouver à mon
père que je suis capable de me conduire en homme… et puis aussi pour aider ma
mère qui a tant de mal à y arriver.
    Rabier s’approche de moi, me prend dans ses bras, me serre
contre lui d’un geste qu’il veut rapide, puis tourne le dos en me disant :
    — Allez petit, rejoins ton gros Ours pour la fin de la
journée et méfie-toi des mauvaises fréquentations. Demain tu viendras dans ce
bureau pour travailler avec deux jeunes ingénieurs. Ils te montreront comment
on établit des plans d’échafaudages. Je sais que tu connais un peu le dessin.
    — Bien Monsieur et merci pour tout. Je serai digne de
votre confiance.
    Au moment où j’allais franchir la porte, il ajoute :
    — Trouve une chambre chez les particuliers. Le soir tu
seras tranquille pour travailler.
    En sortant du bureau, je me sens bizarre : j’ai à la
fois envie de rire et de pleurer. Mon cœur bat très fort. Cet homme veut
remplacer mon père. Il ne faut pas que je le déçoive. Ce sera très dur.
Pourquoi les ingénieurs s’embarrasseraient-ils d’un gamin ignare ou
presque ? Aurai-je assez d’orgueil et de souplesse pour m’assimiler à
eux ? Et puis comment trouver une chambre chez des particuliers ?
Beauceron m’aidera. Une montagne de soucis s’abattent sur moi. Alors je me
force à respirer très profondément pour calmer mes inquiétudes et lentement mes
pensées s’éclaircissent.
    L’Ours me retrouve sur les bords du fleuve :
    — Alors, petit Blois, on réfléchit ?
    Je lui raconte ce que m’a dit Monsieur Rabier.
    — Bien, me répond-il. Allons te trouver une piaule.
    — Mais toi où vas-tu coucher ?
    — T’occupe, mon drôle. Beauceron dort n’importe où.
Quand il n’y a pas de place, il en fait.
    Derrière la Croix Verte je découvre des petites maisons
basses. Après avoir frappé à une porte sans succès, la deuxième s’ouvre et on
nous annonce qu’un locataire étant parti, je pourrai lui succéder
immédiatement. J’ai une chambre pour moi tout seul ; meublée d’un lit,
d’une table et d’une chaise. La fenêtre donne sur le potager. Au fond de
celui-ci se trouvent les cabinets d’aisance. Je paye une semaine d’avance. Ma
logeuse est une vieille dame, veuve, toute menue, habillée de noir. Elle ne
marche pas, mais trottine, comme une souris.
    — Tu seras bien, mon drôle. Tranquille comme Baptiste.
La vieille est protestante. Il y en a beaucoup ici à Saumur. La religion ne
doit pas te troubler, tu es comme moi, on n’en a rien à faire du moment où l’on
est droit comme le fil à plomb, ajoute-t-il en riant.
    — Et toi, Beauceron, ton travail ?
    — Pas facile, petit. Il y a du tirage. Les chantiers
sur Paris ont pris une grande quantité d’indiens et les Soubises qu’on a fait
venir d’Angers sont en grand nombre. Cela ne simplifie pas les rapports. Faut
que je les dresse. Il ne sera pas dit que les chiens me feront la loi. Un
compagnon du Devoir et Liberté doit se faire respecter et obéir. Nom de
Dieu ! T’inquiète pas pour moi.
    Si je veux connaître sa conversation avec Monsieur Rabier,
je sais qu’il ne faut pas le questionner. Il me la racontera de lui-même. Mon
pressentiment se révèle juste lorsqu’il me raccompagne le soir à ma chambre.
    — Le singe, commence-t-il, n’a pas été tendre. Il me
connaît bien. J’avoue que lorsque j’ai un petit coup dans le nez, un rien me
pousse à déclencher la bagarre. Or, lui comme moi, comme toi, un jour nous
sommes battus ou nous battrons contre les Soubises. Lui, le grand patron
responsable de ce chantier, a pris du recul. « Je suis franc-maçon,
m’a-t-il dit, et par conséquent ennemi de tout sectarisme. Il m’est impossible
de prendre en compte les rivalités. » Il m’a appris aussi qu’il avait
l’intention de constituer des équipes de nuit car faut gagner du temps !
Il a ajouté que dans mon groupe se trouvaient deux frères, deux Angevins du nom
de Babin, appelés « Les Portos » parce qu’alors qu’ils travaillaient
dans la marine française leur bateau s’échoua, par la tempête, sur la côte
portugaise. Tous deux sont de bons charpentiers Soubises nés à Angers. Ensuite
il m’a fait jurer que je ferai tout pour éviter un conflit. Là il me demandait
beaucoup ;

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