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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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groupes, passent des chevaux fringants, montés par de beaux
cavaliers militaires dont les uniformes noirs garnis de boutons dorés jettent
mille feux. On y rencontre des habitants de tous ces petits villages des
alentours qui viennent comparer, acheter, tout ce qu’une ville peut leur
offrir.
    L’école de la place des Récollets ne pourrait être comparée
à celle de Saint-Aignan. Les professeurs suivent avec intérêt nos travaux sans
s’occuper, le moins du monde, de nos idées religieuses ou politiques. Le
directeur grand, sec, à la voix grave, a de faux airs du prince de Chalais.
D’après ce que j’ai appris par des camarades, M. Mornay se rend à l’office
protestant accompagné de sa famille et chante avec dévotion les psaumes sacrés.
Mes compagnons sont tous plus âgés que moi, d’au moins deux ou trois ans ;
mais ma taille les dépasse tous, si bien qu’ils doivent penser que je suis en
retard sur eux. On nous enseigne la mécanique, l’électricité, la construction
et la physique. Les mathématiques me donnent beaucoup de mal. J’écoute chaque
parole, copie les formules inscrites sur le tableau noir. Ainsi le soir dans ma
merveilleuse solitude, je reprends chaque point, le décortique comme le ferait
un écureuil avec une noisette. Lorsque je cale devant un problème les
ingénieurs du bureau me l’expliquent avec gentillesse. Je crois qu’ils m’aiment
bien. Après le travail je retrouve Beauceron à la Croix Verte, nous dînons
ensemble puis allons boire un litre dans un cabaret situé rue Juive. Le vin
provient de la vigne du frère du patron, située sur les côtes de Beaulieu-sur-Layon.
Il coule droit accompagné d’une pointe fruitée. Comme dit mon gros Ours :
il revient dans la goule pour donner son coup de chapeau. Bien sûr je ne parle
que très peu ; j’écoute les paroles, les demandes et les réponses. Ce soir
il me confie :
    — Tu vois, mon petit Blois, tout est une question de
savoir dire au moment où il faut. Hier, après le dîner, avec deux amis, j’ai
rendu visite à un charpentier qui a épousé une veuve. Celle-ci tient une petite
guinguette et vend également un peu d’épicerie. Bref on y va boire une
bouteille tranquillement. Ah ! il faut que je te dise où c’était. Au bas
du château. Tu connais ?
    — J’irai par là faire des croquis dimanche.
    — Non gamin, je ne te parle pas des petites rues très
étroites qui grimpent. Y’en a une fameuse : la rue de la Fenêtre. Là tu
verras toutes les filles et les femmes qui enfilent des chapelets à longueur de
journée pour les établissements Mayaud. Les grains sont en os, en coco, en
ivoire, en nacre, etc. Elles sont assises sur des chaises calées aux murs des
maisons ; comme ça, elles y voient clair et ne dépensent pas de
chandelles. Dans une toute petite rue perpendiculaire se trouvent deux claques,
avec toutes les filles possibles. Si un jour ça te dit, je t’emmènerai. Mais
j’en reviens à mon charpentier. C’est ce qu’on appelle en terme de métier, un
charpentier de remplissage ; c’est-à-dire, un gars que l’on embauche au
moment du plein boulot. Il a la qualification, sans l’avoir vraiment, et ne
fait partie des équipes que provisoirement. Comme, pour le moment il travaille
au chantier, je trouvais naturel d’aller boire un coup chez sa femme. Voilà t’y
pas que quatre hommes arrivent et s’installent à côté de nous sans saluer la
compagnie. Je les regarde de travers et reconnais des Soubises d’une autre
équipe. Mon sang ne fait qu’un tour.
    — On ne salue plus ? que je leur dis, les bonnes
habitudes se perdent.
    Le plus grand, avec un nez en quart de Brie, me
répond :
    — Nous ne disons bonsoir qu’aux Soubises et vous vous
êtes des Indiens.
    Du coup, je me lève, pour secouer ce paltoquet quand je sens
une main sur mon épaule. Je me retourne et reconnais L’Angoumois.
    — Reste assis qu’il me dit, vous n’allez pas vous
bagarrer. Y’en a marre de vos histoires qui réjouissent les patrons.
    — Fiche-moi la paix, que je lui réponds, en l’écartant.
    Mais l’Avocat des Pauvres est têtu et tenace. Il
reprend :
    — Que vous soyez compagnon de telle ou telle famille
vous regarde. Voyez plutôt ce que vous avez en commun. Je veux parler du
travail, du risque, du chaud de l’été et du froid de l’hiver. Là-dessus vous
êtes égaux. Et puis, n’oubliez pas la paye. J’ai obligé Rabier à vous payer dix
sous au lieu de huit de

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