La canne aux rubans
je le dirigerai et puis : À Dieu vat, je reprends
le trimard.
— Et Marianne ?
Beauceron se fâche presque :
— Marianne ! Marianne ! Elle attendra que je
sois sur place et bien ancré ; puis je lui écrirai qu’elle me rejoigne.
— C’est vrai ça ?
— Foi de Beauceron ; si je te le dis mon gamin, ce
n’est pas pour jouer les menteurs. Elle a confiance ou pas ?
À Distre nous nous arrêtons pour boire une bouteille. Au
Coudray, trois kilomètres plus loin, mon gros Ours a une petite soif.
J’aperçois enfin le village de Courchamps surmonté du clocher de l’église. Le
curé a sans doute été prévenu par sa servante qui jetait un regard à travers
les rideaux ajourés de la fenêtre du presbytère. Un homme en soutane, de taille
moyenne, au visage coloré et au corps arrondi se précipite au devant de nous.
Ses mains courtes s’agitent fébrilement en caressant l’air. Il parle vite. Une
grande bonté se dégage de lui et me surprend agréablement.
— Bonjour, Messieurs, avez-vous fait bonne route ?
Je vais tout de suite vous conduire chez M. Bouvier, notre aubergiste. Il vous
a réservé une bonne chambre. Sa femme fait très bien la cuisine. Son excellent
vin satisfait les bonnes soifs. Venez, suivez-moi.
Sans que nous ayons eu le temps de répondre, il nous devance
en nous faisant signe de le suivre. L’auberge respire la propreté. Beauceron
est ravi. Mme Bouvier nous fait les honneurs des lieux, de la chambre coquette,
puis nous offre la bouteille de bienvenue. Celle-ci vidée l’Ours se lève, à mon
grand étonnement.
— Pardonnez, Monsieur le curé, mais mon coterie
voudrait aller jeter un coup d’œil sur le travail, puis nous reviendrons.
— Voilà des gens courageux ; je passe devant.
Sur place nous examinons les dégâts et constatons qu’il y a
beaucoup à faire. À un moment je relève la tête et aperçois l’homme à la
soutane qui retire sur l’autel, le Saint Sacrement et disparaît par une petite
porte vers la sacristie. À son retour je le regarde et je lui dis un peu
fâché :
— Vous n’avez rien à craindre avec nous, vous savez. On
sait se tenir.
Le curé éclate d’un bon rire et agite le bras :
— Ce n’est pas ce que vous pensez. Seulement
voilà ; dans votre franc-parler d’hommes, il est possible que quelques
jurons vous échappent et je ne voudrais pas que le symbole de Dieu les entende.
C’est tout. Jamais une autre idée ne m’a traversé l’esprit.
Beauceron a compris le quiproquo et surenchérit :
— Nom de Dieu ! ça nous arrive de jurer. Oh !
pardon, vous voyez, vous avez bien fait Monsieur le curé. On sera plus libres.
Les bases des piliers très entamées laissent prévoir dessous
une crypte très défectueuse. Nous le constatons quelques minutes après.
Beauceron relève les cotes ; je prends note. Je reproduis sur un papier un
dessin d’ensemble ; puis avec une pioche et une pelle, nous nous mettons à
fouiller le sol tout autour. J’ai tôt fait de comprendre ; des pierres
d’assises doivent être changées, d’autres comblées. Le travail vaut la peine.
Nous restons neuf jours sur place. Pendant ce temps, chacun s’efforce de nous
soigner le mieux possible. Nous mangeons et buvons à satiété. Le brave prêtre
passe continuellement nous voir sur le chantier ou à l’auberge. Je découvre un
vrai curé, bon, tolérant, gai, aimable. Une exception quoi ! En le
quittant le dernier jour, Beauceron et moi, avons presque envie de l’embrasser.
Revêche, dit Cœur de Vache, vient nous voir. Je lui montre
les dessins, les plans, les cotes. Je le renseigne sur la façon de procéder. Il
jubile de contentement :
— Les coteries, on ne va pas se quitter comme ça. Voilà
d’abord pour vous !
Il me tend une enveloppe. Je refuse.
— Non ! ami ; considère ce travail comme un
service, rien de plus.
— Si, si j’y tiens ; se fâche-t-il.
— Alors nous verserons cette somme à la Caisse de
Secours des Compagnons.
— Voilà un grand cœur. Mais ne restons pas là. Ma
charrette et mon cheval nous ramèneront à Saumur.
Sur la route du retour, nous échangeons peu de paroles.
Revêche nous laisse avant de passer les ponts, en m’assurant qu’il ira voir
Rabier pour lui adresser des compliments. Le soir même avant de quitter le
chantier, Beauceron me présente son remplaçant :
— Tiens petit Blois, voici Renois dit Casse-Cou !
Vous ferez équipe ensemble.
Nous nous
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