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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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donnons l’accolade ; puis comme il se doit,
nous allons trinquer plusieurs fois à la Croix Verte.
    Je m’entends très bien avec ce nouveau compagnon au geste
sûr ; bien qu’il entonne ses deux litres de « Guinardente », une
sorte d’horrible eau-de-vie de cidre, dans sa journée. En remarquant la grande
habitude de ces hommes de boire, je me pose de temps à autre la question :
pourquoi ne paraissent-ils jamais malades ? Le grand air, la transpiration
éliminent tout, prétend mon gros Ours. Si les gratte-papier buvaient le
centième de ce que nous avalons, ils resteraient couchés, parce qu’ils ne
foutent rien de leur corps. Cet argument, sans me convaincre totalement, a
valeur d’explication « compagnonnique » !
    Arrive le jour du départ de Beauceron. L’Angoumois a préparé
lui-même « la Conduite ». Cette coutume a une odeur de sacré. Le
chantier étant près de la route menant vers le sud, la cérémonie a lieu devant
les bureaux du chantier. Tous les compagnons sont là portant : cannes,
chapeaux, écharpes, rubans, franges, cocardes, paniers de verres, casiers à
bouteilles. L’Angoumois a réussi à mêler Soubises et Indiens, en laissant tout
de même les premiers un peu à l’écart. Marianne, la seule femme parmi tous ces
hommes, affiche un pauvre visage tout mouillé de larmes. Le Premier de la
Ville, en l’occurrence le plus vieux compagnon élu, délivre à Beauceron l’Ours
sa levée d’acquit, c’est-à-dire un certificat constatant qu’il a accompli
toutes ses obligations. Le Rouleur, compagnon sensé trouver du travail aux
arrivants, sert d’intermédiaire entre le singe et l’employé, réunit le partant
et Rabier. Ils se tiennent triangulairement, chapeau bas, comme lors de la
cérémonie de l’embauchage. Le Rouleur demande à Rabier si l’ouvrier a bien
réalisé son travail et si les comptes sont réglés ; bref si le compagnon
est libre à son égard. Le singe acquiesce. On pose les mêmes questions à Beauceron
qui répond : oui. Une boîte fermée par un couvercle fendu au milieu
recueille l’obole de chaque participant. Puis Le Rouleur pose le sac à outils,
le baluchon et la canne de celui qui nous quitte au milieu du cortège qui se
divise en deux colonnes suivant grades et qualités. Il se place alors à trente
pas de la canne et reçoit deux verres de vin pleins. Le premier compagnon suivi
de Beauceron, après avoir fait guillebrette [12] ,
boivent leur verre en une seule fois, retirant au préalable leur chapeau. De
même ils entament, à tour de rôle, un chant « compagnonnique » repris
par l’assemblée verre en main. Le défilé prend la route. Marianne s’empare du
sac et du baluchon de son homme. Elle marche hors de la colonne sur le
bas-côté, mais à sa hauteur. Puis vient la cérémonie du topage [13] . Les compagnons lui crient de
rester, lui promettent de l’argent, des cadeaux, à boire. Beauceron joue le
jeu. Il court à petits pas en avant jetant son chapeau derrière lui. On le
rattrape. Le Premier de la Ville lui remet son couvre-chef. Les colonnes
s’arrêtent, Beauceron aussi. Il regarde ses amis, les salue avec sa canne,
prend ses sacs des mains de Marianne et part sans se retourner.
    Je bondis auprès de l’esseulée qui pleure à fendre l’âme. Je
lui explique qu’elle doit être raisonnable, en gardant confiance dans la parole
de l’Ours.
    Elle m’embrasse, me remercie. Je vois disparaître, à
l’entrée du premier pont, ce petit bout de femme qui va regagner son tout petit
logement désespérément trop grand.
    L’Angoumois a recopié à mon intention la chanson entonnée
par tous les compagnons. Je l’apprends par cœur en souvenir de mon gros Ours.
     
    Prenant une marche nouvelle
    En traversant le pont Rousseau
    Bientôt j’arrive à La Rochelle
    Rochefort, Saintes, Blaye et
Bordeaux.
    Répétons tous ensemble
    Ce joyeux refrain sur le beau
Tour de France
    Toujours unis, toujours nous
chanterons :
    Honneur et gloire à tous les
compagnons.
     
    Dans ma chambre, je repense à lui. Je sens un vide terrible.
Il va me manquer, je l’avoue. Je pleure en enfouissant la tête dans l’oreiller.
    À midi, je trouve une lettre de ma mère. Son écriture a
gardé les pleins et déliés tracés avec charme et rigueur. Une maîtresse d’école
écrivant au tableau devant ses drôles. Ma mère ne parle pas d’elle ; mais
de mes frères et sœurs ; elle m’assure que le travail, bien que difficile
à

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