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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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hochant la tête.
    — Je crois que tout ce qu’on goûte pour la première
fois surprend. Souvent on jure de ne pas recommencer… et puis on continue.
As-tu une petite amie ?
    — Non, Monsieur. Je ne dis pas que je n’y pense
pas ; mais j’ai peur qu’elle m’enlève quelque chose dans la tête.
    Rabier éclate de rire et pose sa serviette sur sa bouche
pour en diminuer le bruit. J’enchaîne immédiatement :
    — Mais ça viendra après mon examen à Angers ; je
me le suis promis.
    — C’est bien, tu as raison. Cela fait partie de ton
équilibre.
    Le serveur au grand tablier blanc vient de déposer
l’addition. Rabier sort un gros portefeuille. J’aperçois des tas de billets. Un
jour je me jure de faire le même geste… mais de me balader avec moins d’argent
sur moi.
    Nous nous quittons. Je longe la Loire en amont et me dirige
vers le château afin d’y croquer quelques détails d’architecture. Combien
d’hommes, de générations travaillèrent à cette œuvre magnifique. Elle date de
la fin XIV e et début XV e . Ses quatre bâtiments, flanqués
de quatre tours, ont une fière allure. Je dessine une des élégantes galeries de
mâchicoulis précédant des cheminées qui émergent telles des chapeaux
haut-de-forme se terminant en pointes. Les protestants transformèrent ce
château en une place de sûreté à la fin du XVI e et aménagèrent une
enceinte de redans et de bastions.
    Je me suis fait une relation en la personne du gardien. Un
ancien militaire n’ayant plus qu’un bras, vivant dans une loge sur la cour avec
sa vieille épouse et une fille sans âge au visage très laid. Cette dernière
bave continuellement. Mes présences renouvelées intriguaient ce brave homme
qui, après explications, me voue une sorte de respect qui me fait sourire.
    En revenant du château, je passe dire bonjour à Marianne.
Dès qu’elle me voit son visage s’illumine. Nous nous embrassons, puis elle me
pose un tas de questions sur son petit Ourson. Je ne peux lui répondre ne
possédant aucune information. Je conclus par ce proverbe stupide :
« pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». À la fin de l’hiver, un vieux
compagnon tombe du haut du pont. Son corps englouti par le fleuve, est entraîné
jusqu’à la berge de l’île d’Offard, côté bras des Sept Voies. La tristesse
marque tous les visages. Cholet le Bras Long était un Soubise. Il avait le bras
droit plus long que le gauche d’où son surnom compagnonnique. Cet homme
s’occupait de l’établissage : il posait des pieux de façon stable. Sa
belle technique n’avait jamais été prise en défaut ; il en était très
fier. Les équipes se sont relayées pour retrouver son corps gonflé d’eau, à
moitié pris dans les sables et les arbrisseaux nombreux à cet endroit.
J’assiste à mon premier enterrement.
    Sa famille de Cholet ne se composait que d’une amie
blanchisseuse, nommée Félicie, qui le suivait depuis des années et partageait
les bons et les mauvais jours. La veille de l’enterrement, quatre compagnons
étaient venus à leur pauvre domicile procéder à la toilette du mort en priant Félicie
d’attendre dehors. Toute la nuit ils l’avaient veillé à tour de rôle et le
matin des obsèques mirent le cadavre dans son cercueil. Quatre autres
compagnons le portent sur les épaules jusqu’à l’église tandis que ses frères
lui font la dernière conduite. La veuve marche immédiatement derrière. Le
décédé reçoit alors les sacrements du prêtre, avant d’être transporté au
cimetière à dos d’homme entre les deux colonnes. Là, le plus vieux compagnon
recouvre le cercueil d’un drap blanc sur lequel il pose des feuillages, dont
une branche d’acacia et les bijoux du défunt : son équerre et son compas.
L’assistance forme un cercle autour de la tombe dans laquelle on descend le
mort. Chaque compagnon tend sa canne vers le ciel et porte au bras gauche un
morceau de tissu noir. Devant la tombe on pose deux cannes entrelacées. Deux
compagnons, l’un près de l’autre, le côté gauche en avant, se fixent, font
demi-tour sur le pied gauche, portent le droit en avant, de sorte que leurs
quatre pieds puissent occuper les quatre angles formés par le croisement des
cannes. Ils se donnent la main droite, se parlent à l’oreille et s’embrassent.
Chaque assistant passe à son tour donner l’accolade à l’autre, puis va ensuite
s’agenouiller sur le bord de la fosse. On dépose alors sur la terre

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