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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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prendre ma place dans la diligence. Nous en
venons presque aux mains. Finalement un passager a un malaise avant le départ.
Une place se trouve libre. Il pleut. Cela me rappelle la descente de
Pisse-Vache à Saint-Aignan, sorte de petit raidillon étroit et caillouteux qui
longe le château et se dirige vers le Cher. Je passe la fin de l’après-midi à
réviser encore.
    Le lendemain en fin de journée j’apprends que je suis reçu
septième à mon examen d’aptitude. Un sentiment de liberté et de fierté
m’envahit. À mon retour à Saumur j’annonce la bonne nouvelle à papa Rabier qui
m’invite à dîner en ville. Ce brave homme, aussi heureux que moi, soigne le
menu et les vins tout particulièrement. Un bon marc et des cigares clôturent
ces agapes. Au cours du repas nous parlons de tout ; mais l’ombre de mon
père plane très haut. Papa Rabier me conte des souvenirs de sa jeunesse ;
puis, comme par hasard, glisse un mot sur Saint-Aignan et la rue des Tanneurs.
Brusquement il s’exclame :
    — Tu pourras un jour dire merci à Blois La Science de
t’avoir fichu dehors ; car c’est grâce à lui, si tu en es là aujourd’hui,
au lieu de garder les biques. Encore cinq à sept centimètres et tu seras plus
grand que lui.
    Lui, je sais qui c’est. Pour toutes les personnes qui le
connaissent il représente une référence chaque fois qu’elles en parlent.
    En sortant du restaurant je remercie papa Rabier qui insiste
pour me remettre une enveloppe.
    — Tu considères ça comme un cadeau. Je n’ai pas
d’enfant ; alors j’observe la coutume après une réussite d’examen. Tu en
es le bénéficiaire.
    J’ai envie de l’embrasser, mais me retiens. Il me tourne le
dos et disparaît à l’angle de la rue Molière. Un moment je reste cloué sur
place, coi et troublé, des larmes au bord des paupières. Une envie folle
m’envahit : courir vers lui, lui dire que je l’aime, qu’il est mon vrai
père, que je ferai tout ce qu’il me dira. Est-ce par pudeur ou par peur du
ridicule, mais je n’en fais rien et entre dans un cabaret où je bois coup sur
coup trois marcs terriblement forts. Discrètement, sous la table, je regarde
les billets contenus dans l’enveloppe. J’en prélève deux et enfouis le reste
dans la poche de mon pantalon, mon mouchoir par-dessus. Je n’ai pas envie de
rentrer tout de suite. Marcher me fera du bien. Sans oser me l’avouer, ma
direction est prise. Quelques minutes plus tard je remonte la rue de la
Fenêtre. La maison de Marianne est fermée, le volet sur la porte la protège,
mais son esprit voyage sûrement du côté du Sud-Ouest. Qu’est devenu mon
Ours ? Un trimard reste un trimard. Tiendra-t-il parole ? Une fille
vêtue d’une robe très courte m’aborde :
    — On est tout seul ce soir, beau garçon… viens je vais
t’aimer.
    J’ai comme un haut-le-cœur, je la repousse. Elle montre son
indignation :
    — Fauché ! me crie-t-elle en colère.
    Une autre m’accroche :
    — C’est avec moi que tu vas venir, mon grand brun.
    — Non Madame, laissez-moi.
    Je me mets à courir.
    — Puceau ! braille-t-elle.
    Ridicule, je suis ridicule. On dirait que j’ai peur des
femmes ! Moi, Blois, celui qui vient d’être reçu à Angers… C’est trop
fort ! La voix de Beauceron me revient à l’oreille :
    — Méfie-toi de ces filles dans la rue ; ne mets
pas ton ciseau sur des clous, ça fait des brèches. Va plus haut, au bordel, te
faire ramollir.
    J’arrive devant la petite porte ornée d’un judas. Au-dessus
brille une flamme derrière les carreaux rouges d’une lanterne. Comment fait-on pour
entrer ? On frappe ou on soulève directement le loquet ? Oui j’ai la
trouille, mais ma fierté est plus forte. Je respire un grand coup et au moment
où je vais prendre le marteau en main, la porte s’ouvre. Un homme sort en
rotant. Je franchis le seuil sous le regard aigu du gardien.
    — Continuez le couloir ; c’est au fond, me dit-il
en grognant.
    Ce boyau mal éclairé sent la fumée, le parfum. Des rires
pointus ou gras me conduisent dans une salle. Des tables sont encastrées dans
des murs et au centre dans une multitude de cloisonnements. Je me dirige
lentement vers le comptoir au fond. Une grosse femme, très maquillée, assise à
la caisse, s’affaire. Pendant qu’une fille très maigre et moche me sert un marc
dans un tout petit verre, j’observe la patronne derrière son tiroir-caisse.
Elle rend la monnaie dans des

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