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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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deux
paniers à la tête du cercueil ; l’un contenant du vin et l’autre du pain.
Le plus vieux compagnon prend les rubans de la canne du mort et les coupe en
petits morceaux qui tombent sur le cercueil. On brûle ensuite sur un plat son
passeport compagnonnique, appelé aussi « trait carré ». Les cendres
sont recueillies et délayées dans un grand pot de vin. Chacun des assistants
boit le mélange. Un compagnon descend retirer les bijoux qu’il remet à la
veuve. Puis chacun des assistants jette tour à tour trois pelletées de terre.
Tout se passe avec cette solennité pure, sincère, calme. Je constate que nous
ne sommes rien, juste des voyageurs sur cette Terre. Ainsi la vie défile, nous
entraînant dans ses ombres et ses lumières, son sucre et son amertume, ses cris
et ses silences, la douceur et l’âpreté, les fleurs et les déjections.
    Félicie, en tant que compagne fidèle, est et sera secourue
par la caisse commune à chaque fois qu’elle en aura besoin.
    Je m’aperçois encore aujourd’hui combien la chaîne d’union
n’est pas un vain mot. La solidarité à laquelle appartenait Cholet le Bras Long
se perpétue. Un maillon disparaît, d’autres à la Saint-Joseph ou à la
Saint-Pierre viendront s’insérer parmi leurs frères.
    La nuit venue, je regarde la Loire couler. Son eau jaillit
de la terre, très loin d’ici, s’affole un peu en se dirigeant vers l’océan. La
lune pleine et blanche jette une lumière froide sur la ville faisant briller
les toits d’ardoises mouillés. Je me sens tout drôle ce soir. Lentement je
rejoins la chambre où mes livres attendent. Demain je dois aller à Angers et ne
rien oublier.
     
    Au matin le ciel dégagé me fait augurer d’un agréable voyage
durant lequel je vais pouvoir me régaler de nature et de lumière. Je prends la
diligence très tôt, comme tous les quinze jours, du côté de la Croix Verte.
J’aime cette route qui longe la Loire sur la levée en passant par Saint-Martin,
les Rosiers d’où on aperçoit sur l’autre rive Gennes. Puis la Menitré,
Saint-Mathurin, la Bohalle.
    À Daguenière on la quitte pour entrer dans Trélazé et les
faubourgs d’Angers, par la route de la Pyramide et la rue Saumuroise nous
amenant directement à la place du château. Je ressens à chaque fois une grande
joie, un dépaysement en cette aventure. Je vois le soleil se lever sur les
vignes et les champs. Quel dommage qu’on ne puisse baisser les vitres !
car les parfums que peut dégager la terre humide et les petits brouillards
au-dessus de l’eau me font envie. Cette diligence est toujours pleine. Bien des
fois, sans réserver ma place, je n’aurais pu partir. Les femmes souvent grosses
sentent la sueur sous les bras. Les gosses geignent et hurlent dès qu’on
s’arrête. Quant aux hommes ils fument, toussent, parlent ou en profitent pour
dormir malgré les cahots. Je ne parle à personne ; mes yeux demeurent
rivés au fleuve, aux arbres dodelinant de la tête, aux maisons en tufeau. Cette
pierre merveilleuse, dure et tendre à la fois, qui blanchit avec le
temps !
    Je me promets un jour de suivre cette route à pied et de
visiter les cavernes des troglodytes qui me semblent si mystérieuses. Arrivé
près du château j’en contemple la masse. Sa construction dura douze années et
se termina sous Philippe-Auguste. Personne ne peut rester insensible à ses
dix-sept tours rondes de quarante à cinquante mètres de haut qui se développent
sur plus d’un kilomètre. J’ai même appris qu’elles étaient encore plus hautes
autrefois et comportaient des toits en poivrières. Je me suis laissé dire
également qu’après Waterloo cinq mille Prussiens occupèrent la ville, exigeant
des Angevins d’énormes sacrifices. Décidément ces casques à pointes ne font que
des dégâts partout où ils passent. Quand cela changera-t-il ?
    À pied je me dirige rue de la Tannerie ; puis, par la
rue Grille, gagne la place de la Laiterie pour jeter un regard à l’église de la
Trinité datant du XII e et son clocher du XVI e . Je ne
cesse de découvrir des splendeurs de pierre et de bois. Angers la riche, la
belle, la grande, restera toujours dans mon esprit et dans mon cœur.
    Les portes de l’école s’ouvrent. Une fois encore, avant
l’examen, je vais écouter mes professeurs et présenter mes travaux. Est-ce
parce qu’ils savent ou constatent que je fais tout mon possible, que chacun a
souvent un mot aimable et encourageant à mon

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